Carbon Valley
La Mecque du chercheur, l'Eldorado de l'entrepreneur, la référence absolue en matière de succès industriel reste la Silicon Valley, la vallée du silicium. Ce morceau de Californie peuplé d'un million d'habitants, coincé entre le Pacifique et une mer intérieure, s'étale de San Francisco à San Jose sous un ciel invariablement bleu et sur un sous-sol sismiquement suspect.
Mais le silicium a régné sans partage depuis les années 1950, époque de l'invention du transmitor, c'est le carbone qui marquera l'aube du nouveau millénaire.
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Tous les chemins de la science mènent au carbone. Les sciences de la vie, de la biologie moléculaire aux thérapies comportementales, analysent la structure et le fonctionnement des êtres vivants. Plantes, animalcules microscopiques ou puissants mammifères, toutes ces créatures sont issues du même ancêtre commun et sont bâties sur la même chimie, les variations infinies des formules carboniques.
Le carbone fait aussi irruption dans les sciences des matériaux, où des structures absolument originales, bâties sur des tissus de molécules carboniques judicieusement repliés, produisent des nanotubes aux propriétés électriques et mécaniques sans concurrence. Dans les techniques de l'énergie, l'intérêt se déplace des centrales nucléaires pachydermiques aux délicates cellules de Graetzel, qui empruntent aux plantes leur processus de photosynthèse.
Les sciences de l'information s'essoufflent: le matériau de base, la puce de silicium, gravée de plus en plus finement, va atteindre dans quelques années les limites de la miniaturisation, celles de l'atome; à cette échelle, toutes les propriétés classiques de nos semi-conducteurs familiers sont remises en question. Les nanotubes de carbone, de même que d'autres constructions moléculaires produites par les nanotechnologies, sont déjà des concurrents potentiels du silicium. Dans d'autres laboratoires, un bouillon d'acides nucléiques, le fameux ADN qui porte notre patrimoine génétique, joue déjà le rôle d'un nouvel ordinateur massivement parallèle: c'est le «DNA computing», le calcul nucléique.
Il existe, au centre de l'Europe, un espace privilégié par l'histoire, réputé pour la beauté de ses paysages, l'aménité de ses habitants et l'agrément de son climat. Sa notoriété scientifique est déjà acquise. La volonté politique d'en faire un haut lieu de la recherche est affichée. Rien, ni personne, ne peut empêcher le pôle lémanique de devenir une Carbon Valley, la vallée du carbone.
Et tandis que le silicium, qui n'est que sable, retournera à la poussière, le carbone insufflera une vie nouvelle au tissu scientifique et industriel baigné par le Léman. Alors que la vallée du silicium risque d'être engloutie par le gigantesque mouvement de plaques tectoniques qui la mine, la fameuse faille de San Andreas, l'Arc lémanique, à la solidité légendaire, sera le lieu d'une nouvelle aventure scientifique, technique et économique, l'épopée du vivant.
Daniel Mange EPFL
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