LE DIABLE et le Bon Dieu
Trois événements ayant marqué ce début d’année me font penser à ce drame de Jean-Paul Sartre : Le Diable et le Bon Dieu, paru en 1951. Il s’agit du procès de la débâcle de Swissair, des salaires excessifs des hauts dirigeants et de la mort de l’abbé Pierre.
L’impression qui ressort des premières auditions des responsables du désastre de notre compagnie nationale est un mélange d’arrogance, d’incompétence et de cynisme. La pitoyable exhibition des accusés qui ont choisi la loi du silence, particulièrement prisée par la pègre, a profondément choqué les victimes que sont le personnel et les petits actionnaires.
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Mais comment en est-on arrivé là?
En nommant au conseil d’administration d’une compagnie aérienne un panel composé d’un roi du ciment, d’une ex-politicienne multi-administratrice, d’un consultant mégalomane, de banquiers, d’un directeur financier de Nestlé, d’un président d’economiesuisse, du fils d’un président de la Confédération, d’un directeur du Comptoir suisse et d’un directeur du fisc, pratiquement tous grands collectionneurs de conseils d’administration. Pas l’ombre d’un responsable ayant la moindre expérience de gestion d’une compagnie aérienne, mais deux patrons qui n’avaient jamais dirigé une grande entreprise. Il faut dire qu’à l’époque, un poste d’administrateur, c’était souvent un retour d’ascenseur pour petits copains.
Les salaires exorbitants de certains hauts dirigeants sont un autre scandale particulièrement mal venu dans une situation d’insécurité de l’emploi. Alors que près de 10 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, quelques patrons gagnent jusqu’à 800 fois le salaire de leurs employés. Même le président de l’Union patronale critique cette situation, craignant sans doute l’émergence de tensions sociales. En France, le MEDEF (l’association patronale) en appelle à la mesure, ne voulant plus entendre parler des patrons voyous et constatant que de tels agissements poussent les entreprises au licenciement, à l’externalisation et à la fraude.
C’est dans un tout autre registre que travaille l’«entreprise» Emmaüs, dont le fondateur, l’abbé Pierre, est mort le 22 janvier. Cette «multinationale» de défense des sans-abri et des mal logés, dans laquelle n’était admis que celui qui acceptait de travailler plus que pour sa propre subsistance, compte aujourd’hui 350 «filiales» dans 39 pays, dont six en Suisse. Sous la houlette de son «PDG» Martin Hirsch, énarque et ancien élève de l’Ecole normale supérieure, elle construit des baraquements en bois, des petites maisons en dur, collecte toutes sortes d’objets et vêtements provenant de caves et de greniers puis organise des ventes aux enchères afin que ses «employés» puissent vivre de leurs «stock-options», c’est-à-dire des revenus tirés de leur travail. «Je ne connais qu’une Église: c’est la société des hommes» déclare Heinrich dans la pièce de Sartre.
La Revue Polytechnique - Michel Giannoni Dr ès sc. ing. EPFL
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