_ No 22 - automne 2010 Print

 

Le chinois, c'est facile

Est-il possible d'inventer une langue et de l'imposer à plusieurs cultures?? L'Espéranto reste une tentative. L'ONU a choisi six langues?: français, anglais, russe, espagnol, arabe et mandarin. L'Union européenne traduit tous ses documents en plus de vingt langues. Quand les règlements et les manuels dominent, la compréhension n'est pas toujours idéale. A l'est, nous pouvons constater, depuis 10 ans, un recul du russe chez les anciens partenaires du bloc soviétique. En Moldavie, les caractères cyrilliques, imposés par l'URSS, sont abandonnés et c'est le retour aux caractères latins. Ce pourrait être une chance pour la langue française.

La preuve que le mandarin est une langue facile?: plus d'un milliard de Chinois le parlent et le comprennent. La population mondiale est de 7 milliards. La population suisse est de 7 millions, soit un millième de l'humanité. Si nous étions seulement dix fois plus, serions-nous encore capables de vivre en bonne harmonie avec nos langues et nos cultures??

Denis de Rougemont n'a-t-il pas dit que les Suisses s'entendent bien parce qu'ils ne se parlent pas?? C'est certes un bon mot mais l'absence de réels problèmes, dans cette nation qui s'est voulue, est le secret de sa réussite. Quatre langues nationales, dont trois (allemand, français, italien) sont des langues officielles sur tout le territoire. Curieusement, c'est en 1996 seulement que le statut du romanche s'est amélioré. Cette langue devient officielle pour les rapports entre la Confédération et les citoyens de langue romanche.

«L'américain» n'est pas encore la cinquième langue nationale. La question des langues est presque toujours associée à la culture. Pourtant, avec la mondialisation, c'est devenu un facteur économique. Si les pays du Commonwealth, aidés par les Américains, ont fait de l'anglais un outil de conquête commerciale, la France n'a pas encore compris les enjeux. Pour acheter et vendre à la bourse, il suffit de baragouiner sommairement le «globisch». Serait-ce le nouvel Espéranto?? En Suisse, les publicitaires choisissent souvent la facilité dans la communication en utilisant un anglais approximatif avec des mots comme wellness, discount, hit, melting-pot,… Les communicateurs de La Poste, régie fédérale, ne sont pas en reste dans cet effort d'imposer l'anglais comme dénominateur commun, réducteur. Grâce à l'engagement d'associations, de mouvements volontaires et de quelques parlementaires, le français et l'italien sont mieux défendus à Berne.

Un dialecte comme sixième langue nationale?? L'uniformisation, l'ennui, la coupure, le danger arriveront-ils à cause du Schwitzertütsch?? Si nous suivons les territoires des langues, lors des votations, ou pour certaines statistiques, l'observateur est vite tenté d'accepter un recoupement total. Toutefois, c'est toujours des différences légères qui font pencher le vote, région par région. Les gagnants sont plutôt dans le camp des abstentionnistes. Par contre, il apparaît que le Schwitzertütsch véhicule un autre risque?: nos frères alémaniques deviennent de plus en plus faibles dans leur langue. A Zurich, les Confédérés en font un complexe, source de tension face aux travailleurs immigrés allemands. J'ai aussi entendu un intellectuel bâlois se plaindre que le Schwitzertütsch était pollué par plus de 2000 mots français.

Plus que les langues, c'est l'économie et la concurrence entre les régions qui sont source de fraction et de frictions. J'illustre ce propos par deux exemples?: il a fallu vingt ans à l'Ecole polytechnique de Lausanne pour se faire une place comme Ecole polytechnique fédérale de Lausanne... puis dépasser, à force de génie et d'acharnement, l'EPFZ, avec un Z comme Zurich. Le Salon international des inventions de Genève, voisin de l'OMPI, Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, a été régulièrement attaqué en 40 ans d'existence par les centres de foires de Bâle et Zurich. Dans d'autres domaines aussi, cette concurrence est exacerbée par le pouvoir économique caché sous la question des langues. Non, les cultures, la culture ne seront pas une source d'éclatement de la Suisse.
Vive le multiculturalisme, outil propice à l'esprit d'innovation.
NN