Le bénévolat fait recette

L'apport global du bénévolat en Suisse se chiffrerait à 1,75 milliard de francs par an. Des questions, comme celle de savoir si ce travail pourrait être rémunéré et confié à des chômeurs, sont loin d'être réglées.

Le bénévolat jouit d'une popularité croissance et l'aura de bonté qu'il vous confère en société est très valorisant, ce qui compense pour beaucoup de gens l'absence de satisfaction financière. Plus de 90% des intéressés, selon différentes enquêtes, estiment que leur démarche leur permet d'avoir une place reconnue dans la société… Les médecins reconnaissent même que le bénévolat est une arme contre la dépression nerveuse.
Selon certaines estimations, près de 23% des Suisses pratiquent une activité par mois. Leur préférence va vers des activités de soutien aux Suisses en difficulté, alors que, dans le passé, on s'engageait plus facilement en faveur de l'étranger. Quant à la raison de l'expansion actuelle de cette forme d'altruisme, les spécialistes la trouvent dans le retrait de l'État vis-à-vis de certaines tâches sociales.
Aux Etats-Unis, par exemple, où il n'existe pas de système public généralisé de protection sociale et médicale, le bénévolat est ancré dans les mœurs : un Américain sur deux effectue un travail volontaire, trois sur quatre sont donateurs. Leurs dons sont près de neuf fois plus importants que ceux des Suisses, des Français ou des Allemands. Ce sont les champions absolus dans le domaine.
Le bénévolat peut s'exercer partout : dans les prisons, les clubs sportifs, les établissements médico-sociaux, les musées ou les bibliothèques… et même de manière ponctuelle, lors de manifestations populaires, par exemple. Les tâches sont plus variées qu'on pourrait le croire. Visites auprès de personnes âgées, accompagnement de malades, bibliothèques à domicile, petits transports, chaînes téléphoniques, tri et vente de vêtements sont quelques activités très répandues. Vous pouvez aussi, selon vos compétences, donner des cours, des conseils juridiques, remplir des déclarations d'impôts…
Les associations caritatives et les fondations privées qui ont régulièrement besoin de volontaires ne manquent pas : Caritas, le Centre social protestant, la Croix-Rouge, la Main Tendue et Pro Juventue, pour n'en citer que quelques-unes, fonctionnent avec l'appoint de précieux bénévoles. Il existe même, pour les altruistes endurants et vraiment motivés, des organisations qui proposent de vous réquisitionner pendant les vacances pour des travaux de protection de l'environnement (plantation, construction, éclaircissage, nettoyage, etc.).

Un vent de professionnalisme
Le bénévolat est de mieux en mieux organisé. L'usage du contrat en double exemplaire en tant que gage de sérieux se répand. Les volontaires ainsi juridiquement liés sont invités à suivre des cours afin de mieux répondre aux attentes qui reposent sur eux. Il peut s'agir de rencontres mensuelles ou de week-ends de formation continue. La Croix-Rouge genevoise, par exemple, propose des cours sur la communication, la relation d'aide, l'accompagnement des personnes en fin de vie, le vieillissement et le grand âge.
" De quoi la communication est-elle faite ? Comment décoder la demande d'écoute ? Comment y répondre ? Quelles sont au contraire les réponses qui ferment le dialogue ? Ce sont là quelques-unes des questions décortiquées pendant ces cours.
Car tout le monde le sait et le dit : c'est surtout par la formation, l'encadrement et la supervision que les responsables peuvent garantir un bénévolat de qualité, où les personnes aidées sont respectées, et leurs confidences bien gardées.
Par ailleurs, des bureaux de coordination se sont ouverts un peu partout en Suisse (voir encadré). Parfois, ces bureaux sont intégrés dans une association humanitaire (comme dans le canton du Jura, où Caritas sert de centre de liaison). A Genève, cette fonction est assurée par le Centre genevois du volontariat (CGV), dont le fichier central compte 258 bénévoles. En moyenne, ceux-ci donnent quatre heures de leur temps par semaine, à raison de 40 semaines par an.
Quelque 150 nouveaux candidats ont été reçus en entretien en 1998. Avec un capital de 57'589 francs au 1er janvier, le CGV a enregistré l'année passée des recettes de 144'598 francs et des dépenses de 126'730 francs (dont 81'744 francs de salaires et charges sociales).

Beaucoup de femmes et de cadres supérieurs
Le volontariat d'aujourd'hui s'oriente en priorité vers les domaines sportifs, culturels et des loisirs, qui représentent près de la moitié du total d'heures effectuées. En deuxième position on trouve les services sociaux (baby-sitting, repas et soins à domicile, couture, tri et vente de vêtements…).
Quant au profil du bénévole, il est plutôt féminin. Le bureau d'accueil du Musée d'art et d'histoire de Genève, par exemple, est composé de 24 femmes et un homme. Le bénévole-type est une femme de 35 à 65 ans, avec ou sans enfant - mais pas âgé de moins de deux ans -, un niveau d'éducation secondaire ou supérieur et un revenu plutôt élevé. Politiquement, elle appartient à la droite classique ou au parti écologiste. Ses convictions religieuses ne sont pas déterminantes.
Dans le secteur des activités sociales, où elles représentent l'écrasante majorité des effectifs, les femmes accomplissent surtout des tâches " de base ", c'est-à-dire administration, vente dans les boutiques de seconde main, encadrement et transport de personnes dans le besoin, etc. Les hommes, eux, travaillent de préférence dans le domaine sportif (clubs divers, mouvement olympique, scoutisme…).
Dans toutes les études menées sur le sujet, les bénévoles apparaissent comme des personnes plutôt privilégiées économiquement et culturellement où ils sont les plus nombreux est celle des cadres supérieurs (plus de 60%).
Les personnes qui ne pratiquent aucune religion effectuent, en moyenne, sept heures de travail de plus par mois que les pratiquants, mais ces derniers sont plus nombreux à répondre à l'appel.

Rendre le bénévolat obligatoire ?
Le travail volontaire a ses détracteurs. De tout temps, on l'a soupçonné de concurrencer un moyen potentiel de se soustraire aux charges sociales. Il faut dire que l'apport financier du travail volontaire en Suisse est important. Il représenterait, selon certaines estimations, un montant annuel de 1,75 milliard de francs.
Sur le plan politique, plusieurs questions reviennent périodiquement sur le tapis. Les chômeurs ne pourraient-ils pas effectuer, contre rémunération, des activités confiées aux bénévoles ? Et pourquoi ne pas en faire un service obligatoire à la communauté, qui remplacerait le service militaire et la protection civile ?
A la question de savoir si le bénévolat concurrence le marché du travail, Pascal Mundler, responsable du département volontariat à la Croix-Rouge genevoise, répond : " Pensez-vous que l'intention des bénévoles soit de faire économiser de l'argent aux associations pour lesquelles ils travaillent? " Evidemment, la réponse est non. " Le bénévolat comprend une grande part d'humanité qui ne peut pas se payer, contrairement au travail technique. Et puis, s'il fallait le rétribuer, sur quels tarifs se baserait-on ? "

PME Magazine - décembre 1999, Francesca Patterson