Faut-il mieux surveiller les chercheurs?

On vient d'éditer les actes d'un colloque sur l'éthique et la recherche scientifique.

"Y a-t-il des limites éthiques à la recherche scientifique?" Tel est le titre d'un colloque qui s'est tenu à Neuchâtel, du 9 au 11 octobre 1997. Ses actes, qui viennent d'être publiés, constituent le deuxième cahier de la nouvelle collection des Cahiers médico-sociaux.
Ce colloque bienvenu eut lieu alors que l'initiative "Pour la protection génétique" était dans tous les esprits. Les onze contributeurs, dont neuf philosophes - un juriste et un scientifique complétant cette liste - évoquent ainsi fréquemment la génétique et le clonage dans leurs textes.
Mais sur le fond, quels que soient les aspects scientifiques susceptibles de poser des problèmes, le fait de proposer de barrer la route à certaines voies de recherche grâce à des limites éthiques se heurte, de façon systématique, à l'argument suprême de la liberté de chercher. A ce titre, le texte de Kurt Bayertz, professeur de philosophie à l'Université de Münster, en Allemagne, qui ouvre le livre en abordant cet argument, est très utile.

Où sont les philosophes?

Bayertz s'intéresse aux fondements philosophiques de la liberté de chercher. Or, note-t-il, alors que les chercheurs invoquent constamment cette liberté fondamentale, "la littérature en droit constitutionnel et en philosophie donne très peu d'information sur cette question." Le philosophe allemand repère tout de même trois arguments classiques à la source de cette liberté: le premier chez Aristote, le second chez Kant, le troisième chez Bacon. Il remarque toutefois que ces arguments ne peuvent rien dire - et pour cause - de la façon dont la recherche est désormais professionnalisée au service de puissants pouvoirs économiques et politiques.
Bayertz est ainsi amené à juger que la question que posent les organisateurs est périmée. L'enjeu, estime-t-il, "n'est plus la répression de l'innovation scientifique, ni de savoir s'il faut mettre des limites précises à la recherche.
La clé du problème se trouve bien plus dans le contrôle de la société moderne." Il s'agit de savoir, poursuit-il, "si l'humanité subit l'évolution sociale comme une force de la nature et la lie à elle ou si cette évolution peut être dirigée selon des critères rationnels et humains."
Kurt Bayertz finit sur une note pessimiste: "Actuellement, peu de choses donnent à penser que ce problème puisse être résolu, théoriquement comme pratiquement." Pourtant, les dix autres auteurs de ce recueil s'emploient à dégager des pistes susceptibles de contribuer à la résoudre. En particulier, certains auteurs posent, ce qui reste rare, l'enjeu de l'éthique économique en amont des choix de recherche. Agnieszka Lekka-Kowalik, professeur à l'Université catholique de Lublin, en Pologne, discute ainsi du "choix des thèmes de recherche en tant que décision morale".
Comme le reconnaît Kurt Bayertz, nos sociétés à métaboliser les connaissances scientifiques qu'elles incitent à produire par le biais de puissantes incitations économiques. "Y a-t-il des limites éthiques à la recherche scientifique?" cherche, de façon heureuse, à infléchir cette tendance.

PME Magazine - le 30 octobre 2000, Jacques Mirenowicz