La mode des incubateurs débarque en Suisse
Les projets de pouponnières d'entreprises se multiplient, notamment en provenance de grands groupes de conseils. Avec d'importantes différences entre elles.
C'est une véritable vague. Née (comme il se doit) aux Etats-Unis, elle a déferlé sur le Royaume-Uni avant de venir caresser le vieux continent. Aujourd'hui, en Suisse, son nom résonne dans toute discussion évoquant les nouvelles technologies. Quel nom ? Incubateur.
Personne ne veut rester à l'écart de cette nouvelle ruée vers l'or que représentent les start-ups, et les projets de pouponnières d'entreprises se multiplient. Pour preuve, les grandes sociétés de conseils (Andersen Consulting, PricewaterhouseCoopers, Mc Kinsey) ont annoncé coup sur coup de telles créations. Les universités, les hautes écoles, les associations économiques se lancent dans ce créneau. Même des privés s'y mettent. Et c'est tant mieux. Car ces pépinières répondent à un vrai besoin.
De quoi s'agit-il exactement ? Les incubateurs peuvent avoir plusieurs fonctions, le mot désignant différentes activités. Mais tous visent le même but : décharger les jeunes pousses de tout le travail non stratégique pour qu'elles puissent se concentrer sur leur idée. " Nous nous occupons du financement, de la partie administrative, de la propriété intellectuelle
autant de points qui peuvent représenter des écueils très importants ", relève Cathy Lawi, la fondatrice du bio-incubateur privé genevois Medabiotech. " Et qui font perdre énormément de temps et d'énergie aux jeunes entreprises ", souligne Michel Pannatier, responsable de la pépinière valaisanne Vulcain, spécialisée dans les technologies de l'information. Ces pouponnières aident les créateurs à porter leur projet et à le développer afin qu'il soit viable. Mieux : qu'il soit rentable.
Leur rôle est primordial. " Diverses études montrent que le taux de mortalité est d'environ 90% dans les sociétés hightech. Avec un passage dans un incubateur, ce taux descend à quelque 50% ", avance Gian-Luigi Berini, directeur de la fondation genevoise pour l'innovation technologique Fongit.
L'indispensable coaching
Le coaching est ainsi le maître-mot en matière d'incubateur. Il s'agit de fournir toute la palette de conseils nécessaires à la création d'une jeune pousse (en finances, en droits, en prospection de marché
). " Ce soutien actif et cette mise à disposition du know-how pour lancer une affaire permettent à la nouvelle entreprise de réduire le temps nécessaire à la mise sur le marché et d'augmenter ainsi ses chances ", insiste Gian-Luigi Berini.
Mais ce n'est pas tout : en général, une telle pouponnière offre des infrastructures équipées (téléphone, ordinateurs, e-mail...). Une présence physique qui revêt une double fonction. D'abord, elle permet au créateur d'être tout de suite opérationnel, sans avoir à perdre du temps pour la recherche de locaux. Ensuite, elle joue un rôle psychologique majeur.
" C'est très important de regrouper des gens qui partagent le même genre d'expérience. Ils peuvent se parler, échanger des conseils, créer des synergies. Et il est très difficile de travailler tout seul, spécialement dans cette phase ", relève Laurent Piguet, responsable du programme start-ups du PSE/EPFL et initiateur du tout nouveau service " incubateur " du Parc scientifique d'Ecublens (PSE), lancé en juin.
Ce regroupement physique se réalise souvent près de centres de compétences - haute école ou université - ce qui permet de favoriser le transfert de technologies entre milieux académiques et économiques. A l'entrepreneur ensuite de choisir l'endroit qui correspond à son type de projet et à son stade d'avancement. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé avec, par exemple, Smartdata qui est parti de Martigny pour se rendre au Parc scientifique d'Ecublens (voir également page 28 ou avec Cytion qui a quitté le PSE pour le Biopôle (voir PME Magazine de juillet 2000).
Aider au capital de démarrage
Les incubateurs peuvent enfin offrir une autre prestation : le financement. Parfois directement, plus souvent en mettant en relation investisseurs et start-ups. Un service qui n'est pas fourni par toutes les pépinières. Mais qui peut se révéler fort utile : " Les sociétés de capital-risque ne mettent pratiquement jamais d'argent dans une société en démarrage qui n'a pas obtenu d'autres fonds auparavant ", relève Peter Kazimirski, responsable de l'incubateur romand de PricewaterhouseCoopers. Un avis totalement partagé par les initiateurs de Venture Incubator qui, comme ce dernier, va injecter directement des capitaux : " Les investisseurs en capital-risque s'associent d'habitude à une entreprise dans une phase ultérieure de son développement, et avec des sommes plus importantes. " Résultat : il n'est souvent pas aisé pour des créateurs d'obtenir les fonds nécessaires à la première phase du projet.
Une mise de fonds qui est rarement gratuite : en contrepartie, les incubateurs prennent alors très généralement une partie du capital de la start-up. Opération qui peut se révéler fort intense : avec une mise de fonds peu importante, la pouponnière pourra gagner énormément si elle a " misé sur le bon cheval ". La jeune pousse qui n'a rien à offrir d'autre que son idée (et qui ne peut donc pas vendre ses actions à un prix élevé) sera peut-être bientôt une société dont les titres vaudront de l'or.
Raison pour laquelle certains incubateurs sont en mains privées et se consacrent uniquement à la valorisation de start-ups. Certains sont même cotés en Bourse. " Ils font le même métier que nous, mais ils n'ont pas les mêmes objectifs ", souligne Michel Pannatier. Des pépinières comme Vulcain font plutôt uvre de promotion économique. En l'occurrence, le site qui a pour nom le dieu de la forge veut " favoriser le développement de l'industrie des technologies de l'information en Suisse ".
Comment se faire " incuber " ?
Mais comment entrer dans un de ces incubateurs ? Les processus de sélection sont un peu partout identiques : il faut d'abord se renseigner directement auprès de la personne responsable qui juge en général au téléphone si le projet est digne d'intérêt et que le créateur vaut la peine d'être rencontré. Si tel est le cas, l'équipe vient alors exposer son idée, ses projets, ambitions et détails financiers. Un business plan n'est pas forcément nécessaire, l'important étant que les responsables de l'incubateur puissent juger du potentiel du projet.
Enfin, un comité de sélection donne son feu vert. L'heureux sélectionné pourra alors se faire " incuber ", comme le dit - de manière fort peu gracieuse - le jargon. Et ce, pour un temps limité : la société doit rapidement apprendre à voler de ses propres ailes.
Au terme de ces différentes étapes, le taux de refus est plus ou moins élevé selon les établissements, mais tous les spécialistes insistent : " Nous ne faisons pas du social ! " Ainsi, la Fongit, qui peut se targuer de plusieurs années d'expérience et qui dispose de neuf sociétés dans son portefeuille, avoue une sélection très sévère : " 98% des idées qui nous sont soumises ne correspondent pas à nos critères ou ne sont pas viables à long terme. "
Comparatif de certains incubateurs
Un incubateur représentant un partenaire stratégique dans la vie d'une start-up, il faut bien le choisir. Comment ? Gian-luigi Berini conseille aux créateurs d'établir une check-list de ce qu'ils attendent d'une telle pépinière, de vérifier ses performances, de voir quelles sociétés elle a suivies et de s'assurer qu'elle partage la même philosophie qu'eux. Certaines n'offrent que du coaching, d'autres fournissent conseils, locaux et financement. A chacun de déterminer ses besoins.
Une jeune start-up conseille également de rencontrer d'autres protégées de l'incubateur pour voir ce que ce dernier offre vraiment.
Voici déjà quelques détails de certains incubateurs. Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive, mais de ceux qui reviennent le plus souvent dans les conservations.
Y-Parc (existe depuis plusieurs années)
Lieu : le premier parc technologique de Suisse a été créé en 1986 à Yverdon.
Cible : sociétés actives dans les secteurs de la technologie et de la science lorsqu'elles sont au stade du prototype.
Infrastructure : 5443 m2 de locaux équipés (électricité, chauffage, air comprimé pour les machines, téléphone, informatique
) Possibilité pour une entreprise de faire construire des bâtiments annexes.
Prestations : locaux, appui au quotidien et mises en relation avec des investisseurs et des spécialistes de divers domaines (juridique, brevets, finances
).
Durée maximale : aucune.
Contrepartie : loyer (1200 francs par mois pour le package complet : infrastructures, conseils
).
Statut : société anonyme, mais les services prodigués sont pris en charge par le canton de Vaud.
Fongit (existe depuis plusieurs années)
Lieu : 600 m2 à Plan-les-Ouates (enève)
Cible : projets présentant des innovations technologiques
Statut : fondation de droit privé à but non lucratif.
Durée maximale : de un an et demi à trois an.
Prestations : locaux équipés, conseils (juridiques, en management, en prospection de marché
), coaching, mise en relation avec des investisseurs et avec un grand réseau de fournisseurs, clients potentiels (la Fongit a été créée par Jean-Pierre Etter, fondateur notamment de LEM).
Contrepartie : location des locaux pour quelques centaines de francs et petite prise de participation.
PSE (existe depuis plusieurs années)
Lieu : le parc scientifique se trouve sur le site de l'EPFL à Ecublens
Superficie : 5000 m2 (sera doublée en juillet 2001).
Prestation : hébergement dans des locaux équipés (choix entre environ 20 m2 et un étage entier de 350 m2) et quelques services. Vise les entreprises qui ont déjà démarré.
Contrepartie : location des locaux.
Biopôle (vient d'être lancé)
Lieu : Lausanne-Epalinges. 2200 m2 de plancher sur deux étages. Un plan d'affectation prévoit une forte augmentation de la surface disponible.
Secteurs : biotechnologies et sciences du vivant.
But : valoriser les découvertes des chercheurs du CHUV, de l'université, de l'ISREC (Institut suisse de recherche expérimentale sur le cancer)
Prestations : mise à disposition de locaux équipés pour les biotechnologies.
Budget : 7 millions (1,1 million par des dons de fondations privées, le reste apporté par l'Etat).
Contrepartie : location des locaux.
Incubateur du PSE (vient d'être lancé)
Lieu : sur le site du PSE. Ce nouveau service est destiné aux créateurs d'entreprises durant la phase de préparation de leur business plan.
Durée : environ six mois.
Prestations : infrastructure, premiers conseils de gestion (création d'un plan comptable, check-liste des affiliations obligatoires AVS, LPP
), coaching
Contrepartie : tous ces services sont proposés pour quelques centaines de francs par mois.
Vulcain (vient d'être lancé)
Lieu : Sierre, dans le technopôle, à côté de l'école supérieure d'informatique et de l'institut Icare (qui développe des projets de recherche appliquée dans le domaine des IT).
Secteurs : technologies de l'information (IT)
Prestations : offre gratuitement des locaux équipés, un réseau de sociétés et un coaching (assuré conjointement avec la société Cimtec, qui fait partie du réseau Cim de Suisse occidentale).
Durée : en principe un an.
Contrepartie : aucune.
Statut : fonds publics et privés. Société à but non lucratif.
Venture Incubator (devrait être opérationnel avant la fin 2000)
Initiative conjointe des Ecoles polytechniques fédérales, de McKinsey Suisse et de plusieurs entreprises suisses.
Lieu : toute la Suisse. Aucune infrastructure physique n'est proposée.
Cible : entreprises en rapide croissance (dans différents secteurs : IT, biotech, chimie, machines
).
Fonds : 120 millions alloués des grandes sociétés suisses (Nestlé, Novartis, ABB, Sulzer, Credit Suisse, Pictet
). Autres partenaires : l'étude Homburger Rechstanwälte pour le conseil juridique, et Egon Zehnder International pour le recrutement des équipes dirigeantes.
Prestations : fournit des capitaux de départ (seed money, en jargon) et du coaching (en stratégie, ressources humaines, droit, technologies
Durée : vise avant tout les phases précoces, mais peut accompagner jusqu'au prototype, voire plus longtemps.
Contrepartie : prises de participation dans les start-ups.
Monthey (projet)
Encore au stade de projet. Devrait déboucher en automne sur un incubateur à but non lucratif. Une entreprise est déjà venue de l'EPFL pour s'installer sur le site de Novartis où il est possible de disposer de l'équipement industriel pour faire des prototypes et évacuer les déchets. Cimtec devrait s'occuper du coaching et le Novartis Venture Fund pourrait fournir de l'argent.
Répétons-le, cette liste n'est pas exhaustive. Le paysage des incubateurs se compose encore notamment de Medabiotech (société genevoise spécialisée dans le développement de technologies dans les sciences de la vie, qui a par exemple participé à la création de GeneBio et créé NovImmune) ; de l'association Genilem (présente dans plusieurs cantons de Suisse Romande, elle coache - surtout pour l'approche des marchés - de nombreuses jeunes pousses pendant deux ans) ; du Centre suisse d'électronique et de microtechnique à Neuchâtel (spécialisé dans la micro électronique et l'optoélectronique, il est en train de lancer quatre start-ups) ; de myQube (société italienne présente à Genève où elle veut conseiller trois jeunes pousses Internet par an) ; et de Nascent (incubateur privé genevois uvrant sur toute l'Europe, créé en 1999 et qui est actif dans les technologies de l'information).
En outre, plusieurs autres projets ont de bonnes chances d'aboutir prochainement. Enfin, PricewaterhouseCoopers dévoilera d'ici peu les détails exacts de la pépinière que le géant vient de lancer.
PME Magazine - août 2000, Aline Yazgi
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