Échos de l'inventeur du web

Le document proposant la mise sur pied du World Wide Web, écrit au CERN par Tim Berners Lee en 1989, ne faisait que 14 pages. Son chef, après lecture, a griffonné une appréciation au crayon : « vague, mais excitant ». C'est ce qu'a raconté Robert Cailliau, qui a développé le World Wide Web avec Tim Berners Lee, le 19 mars à l'Institut national genevois.

Le projet consistait à réunir trois technologies déjà existantes : l'ordinateur personnel, l'hypertexte et l'informatique de réseau. A l'époque, il existait déjà de nombreux réservoirs d'information accessibles en ligne. Mais ils fonctionnaient avec des langages et des navigateurs différents. D'où l'idée de mettre en place un système proposant un adressage, un protocole et des formats communs. Le papier de 1989 proposait de créer des liens de différente nature entre les documents eux-mêmes de différents formats. Ces liens étaient dotés d'une sémantique telle que « décrit, se réfère à, inclut… » Le World Wide Web n'a conservé qu'un seul type de lien, celui que nous utilisons quotidiennement en cliquant avec notre souris. « Il y a beaucoup de progrès à faire pour mettre le web au niveau de la première proposition », remarque Robert Cailliau.

La première proposition de Tim Berners Lee n'ayant pas rencontré un grand succès, Robert Cailliau et lui-même en présentent une nouvelle en 1990, qu'ils baptisent d'ores et déjà World Wide Web. Se doutaient-ils que leur invention allait prendre une telle ampleur ? « Oui, répond Robert Cailliau. Nous avions déjà mis le monde (World) dans le nom du projet, et de toutes façons nous ne pouvions pas faire plus petit.

Il ne faut pas confondre Internet et le World Wide Web. Internet est une infrastructure de câbles connectés entre eux, avec un code d'exploitation du réseau et divers services, comme le e-mail, Telnet ou le World Wide Web. Il a été mis en service en 1974. Le World Wide Web est le service qui vous permet d'afficher des pages sur votre écran et de naviguer entre elles à l'aide de liens hypertextes.

Vous pensez que le progrès s'accélère ? Pas Robert Cailliau. Les premiers ordinateurs ont été construits dans les années 40, remarque-t-il. Dans les années 50 ont été créés les langages informatiques qui sont encore en usage aujourd'hui. Les années 60 ont vu la création des hypertextes, des souris et des ordinateurs personnels. Des techniques ont encore été créées dans les années 70, dont Internet. Pour les années 80, on ne peut guère citer que le World Wide Web, qui n'est que la réunion de techniques préexistantes. Et pour les années 90, Robert Cailliau n'a rien trouvé qui soit digne d'être mentionné.

L'avenir n'en inquiète pas moins Robert Cailliau. Peu de gens sont capables d'assurer la maintenance de leur ordinateur. On va donc de plus en plus déléguer ces tâches à d'autres, en utilisant en ligne des programmes et des fichiers situés chez un fournisseur de services. Les messageries type hotmail en constituent déjà un exemple. Avantage : les problèmes techniques sont confiés à d'autres. Mais aussi toutes les données privées, qui étaient auparavant stockées en sécurité sur votre disque dur, sans que vous puissiez vous assurer de l'usage qui pourrait en être fait… « Inquiétez-vous », prévient Robert Cailliau.

Entreprise Romande, 23.03.2001, Pierre Cormon