Le véhicule révolutionnaire roule enfin sur quelques mètres

Cette Serpentine dont rêvent les étrangers... après vingt ans d'efforts, une capsule de la Serpentine glisse à Ouchy. Un projet pilote révolutionnaire qui enchante les villes d'Europe.

France, Autriche, Allemagne, Italie, etc. Les yeux des pays limitrophes sont fixés sur Lausanne. Plus particulièrement sur l'ingénieur Bernard Saugy et sa Serpentine. Inauguré hier sur les quais d'Ouchy, ce système de transport public révolutionnaire a pu finalement sortir de l'usine Leclanché, à Yverdon-les-Bains, pour glisser quelques mètres sur une vraie route et se montrer aux yeux des badauds. fout y est pour faire rêver et pour parler au passé d'un tas de livres de science-fiction. Mû par un moteur électrique, ce «taxi sans chauffeur» est alimenté par des magnétoglisseurs souterrains et est téléguidé le long du trajet (voir infographie). Une vraie magie, même à l'ère des ordinateurs. De plus, il se veut écologique, économique, efficace. De quoi fasciner plusieurs villes d'Europe qui, depuis quelques années, ont chargé leur Département des transports de trouver des solutions valables à l'augmentation des voitures privées, de la pollution et du temps de déplacement.

LE RETOUR AU PASSÉ

Mais, lorsqu'à Paris comme à Florence, on réfléchit aux transports publics alternatifs, ce sont les solutions d'antan qui reviennent à l'esprit. Certes relookées, elles restent les mêmes: deux rails, deux câbles sur le toit et... on y va, tous ensemble, arrêt après arrêt, dans ce tramway nommé Désir. Ecolo? Oui. Économique? Pas vraiment: infrastructures à construire et à gérer, chauffeurs à payer, voitures très chères. Efficace? On peut avoir des doutes: temps d'attente relativement longs, service collectif, arrêts prédéterminés. Une ville alors blessée sous ses pieds (sur son sol) et sur sa tête (dans son ciel).

L'INTÉRÊT POUR LE SWISS MADE

C'est pourquoi le maire de Florence, Leonardo Dominici, et l'ancien directeur du Département de la voirie et des déplacements de Paris, Christian lamboley, ont approché Bernard Saugy pour suivre de près le projet Serpentine. L'un et l'autre sont convaincus qu'il faut regarder avec attention toutes les études qui visent les formes alternatives de déplacements, surtout celles qui ont l'air de fonctionner. «Nous avons déjà ouvert un chantier pour la construction d'une nouvelle ligne de tram, même si nous sommes disposés à examiner et expérimenter des propositions valables», affirme le porte-parole du syndic de la ville de Dante, Enzo Risso. Ils observent, donc, mais les travaux pour le tram continuent. Parce due, à la fascination fait suite la peur dedevoir faire confiance a une machine et parce que ce projet pilote, en gestation depuis vingt ans, a tardé à voir le jour. Pour la ville de Victor Hugo, le problème est différent. Le nouveau directeur du département, Daniel Laguet, en charge depuis le mois de février, n'a pas encore eu letemps de s'attaquer au problème. Et ses collaborateurs préfèrent attendre une position officielle avant de se prononcer. Côté germanophone, c'est en Autriche que les capsules de Saugy ont le plus d'espoir de glisser prochainement sur le goudron. Helmut Koch, directeur de Trafico, un bureau d'études sur les transports avec siège à Gmunden, ne cache pas son enthousiasme: «La Serpentine, c'est ce qu'il nous faut pour la station hivernale de Werfenweng, près de Salzbourg.. Un village qui se veut un îlot de paix et entend laisser les voitures loin de la vie quotidienne. «J'ai pris connaissance de ce projet par la presse spécialisée: il est très prometteur. On voudrait pouvoir construire tout de suite un tronçon d'essai" continue Helmut Koch. Bernard Saugy s'est engagé à livrer une proposition au début de l'année prochaine. Après avoir vérifié, évidemment, que la neige ne joue pas le rôle d'isolation...

Le défi est lancé. Werfenweng devancera-t-il Lausanne dans la réalisation de la première Serpentine? Le municipal radical lausannois, Olivier Français, supporter inconditionnel du projet, estime que la Suisse est prête. Il faut juste combler le vide législatif qui entoure ce drôle d'engin et régler quelques détails techniques. Après, les villes helvétiques ne tarderont pas à reconnaître la juste valeur de cette révolution en matière de transports.

www.serpentine.ch

Tout sur les atouts de ce nouveau système de transports.

Dimanche.ch - 23 septembre 2001


la Serpentine se heurte aux Juristes

A Lausanne, l'Office fédéral des transports vient de demander l'arrêt des travaux de ce moyen de transport révolutionnaire. Le concepteur et la Municipalité sont déçus.

Après vingt ans de combat pour défendre l'idée de sa Serpentine, l'ingénieur Bernard Saugy espérait prochainement voir naître son enfant à Lausanne. Histoire de convaincre les sceptiques que son système de petites voitures guidées et alimentées en énergie par un rail noyé dans la chaussée n'est pas une hérésie. Mais, alors que l'aménagement de la première ligne vient de débuter le long des quais d'Ouchy, un nouveau pépin vient mettre à mal la ténacité de l'ingénieur lausannois. Prévue pour la fin du mois d'octobre, la mise en service à cette date de son concept de transport public individuel est désormais compromise pour des raisons administratives. L'Office fédéral des transports vient en effet de réclamer dans une lettre l'arrêt des travaux du tronçon pilote.
Ne ressemblant à aucun autre moyen de déplacement existant, la Serpentine laisse perplexes les juristes. LOFT a décidé, après plus de six mois de réflexion, de considérer l'invention vaudoise comme une ligne de trolleybus, explique son porte-parole Heinz Schöni. «C'était la meilleure solution du point de vue juridique, mais on a parfaitement conscience que techniquement la Serpentine ne ressemble à rien de connu.» Résultat: la société Serpentine SA, épaulée par la Ville de Lausanne, un de ses actionnaires, doit obtenir une concession permettant d'exploiter une ligne de trolleys. La demande a été déposée le 27 juillet seulement, quelque temps après le début des travaux. Voilà pourquoi Berne veut tout stopper.

«Rien ne nous empêche de continuer le chantier»
Du côté de Lausanne, le municipal des Travaux, Olivier Français, ne l'entend pas de cette oreille. «L'OFT fait un amalgame entre exploitation commerciale et des essais grandeurs nature. Rien ne nous empêche de continuer le chantier et de faire rouler les capsules à vide.» Ce pendant, le bouillant radical, ingénieur de formation, reconnaît que la révolutionnaire Serpentine a de quoi faire peur aux juristes, et qu'il vaut mieux ne pas les froisser pour 1 instant. Bernard Saugy s'attendait également à des difficultés avec l'OFT, mais pas aussi rapidement. «Pourquoi ne nous laisse-t-il pas mener des essais pour nous permettre de prouver la fiabilité et la sécurité du système?»
Heinz Schôni ne comprend pas cet étonnement. D'autant plus que son office a mis à deux reprises en garde les autorités lausannoises sur les difficultés de cette aventure juridique. «Nous allons tout mettre en oeuvre pour délivrer le plus rapidement possible une autorisation. » Quant à la précieuse concession permettant au public d'utiliser les voiturettes, cela risque d'être un peu plus long. Le temps au juriste de trouver des subterfuges légaux permettant d'admettre, notamment, un trolley sans conducteur et circulant sur un trottoir.

Le Matin 13 août 2001 - Mehdi-Stéphane Prin