Les concepteurs de la Tate Modern reçoivent le Pritzker Prize
Les subtils enveloppements d'Herzog et de Meuron
Deux architectes suisses, Jacques Herzog et Pierre de Meuron, sont les hôtes de la maison de Thomas Jefferson à Charlottesville en Virginie : ils y reçoivent, ce 7 mai, le Pritzker Prize, considéré comme le prix Nobel de l'architecture.
Herzog et de Meuron ? « Il est très difficile de penser à d'autres architectes qui, au cours de l'histoire, aient abordé l'architecture avec autant d'imagination et de virtuosité », a déclaré Thomas. J. Pritker, le président de la fondation Hyatt, mécène de ce prix. Ce sont les premiers Suisses à se voir décerner cette prestigieuse distinction remise pour la première fois en 1979 à l'Américain Philip Johnson et qui n'a honoré, jusqu'à présent, qu'un seul architecte français : Christian de Portzamparc.
Installés à Basel, Herzog et de Meuron sont indissociables, nés la même année (1950), issus de la même école, ils pratiquent ensemble depuis 23 ans. Le duo s'appuie sur un troisième homme, l'artiste Rémy Zaugg, qui, chose rarissime dans l'architecture, travaille régulièrement sur leurs projets. C'est lui qui avait d'ailleurs signé la scénographie très minimale de leur exposition au Centre Pompidou en 1995.
Le travail de cette équipe est très intéressant. Derrière une simplicité d'écriture - et parfois trop de radicalisme comme une brutale résidence étudiants construite à Dijon - transparaît un style riche, une subtilité empreinte de sensualité. Parmi leurs premières uvres, il y a cette maison de Tavole en Italie qui révèle le goût des architectes suisses pour la matière : ici la pierre sèche. Une décennie plus tard, Herzog et de Meuron réaliseront un chai tout en gabions pour un domaine viticole de la Napa Valley en Californie. Ce bâtiment tout en longueur qui cherche à entrer en symbiose avec la nature a trouvé beaucoup d'admirateurs dont les serpents qui adorent se nicher entre les gros blocs de pierre
Herzog et de Meuron sont des artistes de la peau. Quelle que soit la texture, ils poussent le raffinement très loin. Ils arrivent à rendre esthétiques les objets les plus usuels, comme un entrepôt (les façades sérigraphiées pour l'entreprise Ricola à Mulhouse), ou bien, véritable chef-d'uvre, le poste d'aiguillage de la gare de Bâle somptueusement habillé de lamelles de cuivre.
Ce travail de recherche sur l'enveloppe des bâtiments les amènera à faire le meilleur choix pour la transformation de la grande usine électrique de Bankside à Londres en musée. Dans ce concours international de haute volée, ils emporteront la décision sur l'idée de préserver au maximum la peau de brique de cette cathédrale industrielle. Ils sont les seuls à avoir choisi ce parti pris. La Tate Modern (l'autre implantation de la Tate Gallery) est née de cette approche. Restait alors à créer un projet muséal dans ce volume immensément vide de la salle des turbines. Ils l'ont réussi en conservant toutefois un grand espace libre qui ne peut pas vivre sans des uvres monumentales.
L'autre intérêt de ce travail de reconquête est la greffe de peau. Sur la brique brune londonienne, les architectes suisses ont joué avec le verre, à l'intérieur comme à l'extérieur où les signes de la modernité ont été apportés par une immense poutre de verre servant notamment de galerie pour admirer la capitale.
Après ce musée qui leur a valu, à l'évidence, le Pritzker Prize, Herzog et de Meuron, à la tête d'une agence de 120 personnes, ont atteint une indiscutable stature internationale. Après avoir été consultés (comme Dominique Perrault et Bernard Tschumi) pour l'extension du célèbre Moma à New York (finalement confié au Japonais Taniguchi), ils se sont vu commander un musée de 165 millions de dollars à San Francisco. S'inscrivant dans un parc, le M. H. De Young Memorial Museum dont l'ouverture est annoncée pour 2005, devrait attirer le public par le mouvement qu'imprimera une tour en vrille, mais surtout par une peau travaillée pour vibrer dans la lumière.
A Paris, Michel Lombardini, le patron de la RIVP, n'avait pas attendu le Pritzker pour faire appel à ce duo très doué. Dans le XVIe, rue des Suisses
Herzog et de Meuron viennent de construire un ensemble de logements qui fuit l'idée de monotonie. Persiennes d'acier côté rue, façades végétales et balcons de bois côté cour, et papiers peints roses dans les parties communes participent ainsi à un jeu esthétique des plus éclectiques. Le reste relève du plaisir d'habiter.
Le Figaro, lundi 7 mai 01, Francis Rambert
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