Fribourg séduit Boeing et Ariane 5
Boeing et Embraer l'ont élue meilleur fournisseur de l'année. Vibro-Meter sort des chiffres rouges et recrute à tour de bras. Secret de ce rebond : la concentration.
Complètement désendettée, l'ex-malheureusement filiale d'Elektrowatt (du groupe Credit Suisse) vole de succès en succès. Gros contrat sur dix ans avec Boeing, contrat de même importance avec le marine américaine et débouchés renouvelés dans le secteur des turbines à gaz industrielles. Ce riche carnet de commandes doit beaucoup à la haute conjoncture des deux dernières années, mais plus encore à la stratégie conduite depuis cinq ans. Une stratégie qui n'a rien de révolutionnaire, mais qui s'avère parfaitement appropriée. Elle éclaire, par contraste, les erreurs du passé.
En 1990, le canton de Fribourg s'enorgueillit de son entreprise high-tech de Villars-sur-Glâne. Même si l'état de santé de l'entreprise reste secret, celle-ci est réputée bénéficiaire quand son fondateur et Président-directeur général, Adolphe Merkle, 66 ans, la vend au groupe zurichois Elektrowatt. Le PDG assure encore la transmission pendant deux ans. Lorsqu'il se retire définitivement, en 1992, les comptes frisent déjà le déséquilibre. Un an plus tard, Vibro-Meter plonge dans les chiffres rouges. Victime de l'effondrement conjoncturel, comme l'ensemble de l'industrie des machines ? Ou d'erreurs de management ? Mais alors, lesquelles ? Le ver était-il dans le fruit avant le changement de propriétaire ? Ou Elektrowatt a-t-il gaspillé l'héritage ?
Alarmé, Elektrowatt mandate McKinsey pour un audit, qui le confie à un ingénieur chimiste. Etait-ce bien opportun pour une entreprise de mécanique et d'électronique ? Mal inspiré, le nouveau directeur, Peter Schneuwle, adopte une stratégie de dégraissage et n'opère, apparemment, aucun investissement majeur dans la recherche et la production.
Il abandonne la diversification amorcée dans le domaine des hélicoptères, une deuxième erreur aux yeux de son successeur, Richard Greaves. « Car rien ne vibre autant qu'un hélicoptère », souligne celui-ci. Enfin, il mise sur le développement de détecteurs de glace. « Mais - troisième erreur selon Richard Greaves - au lieu de cibler les avionneurs, qui sont déjà nos clients, il s'adresse aux entreprises qui construisent les routes. Un marché déjà extrêmement disputé. » Il maintient les trois divisions du groupe : aérospace (appareils pour moteurs), industrie (appareils pour moteurs), industrie (appareils pour turbines) et instrumentation (appareils pour toutes autres machines tournantes).
En 1995, le chiffre d'affaires s'écrase à 60 millions de francs (-30 % en cinq ans). Les emplois ont fondu de 540 à 400. Peter Schneuwle est débarqué. L'actionnaire porte pourtant une large part de responsabilité. Comme tout le monde dans les années 90, Elektrowatt (et derrière lui, le Credit Suisse) n'a qu'un mot à la bouche : diversification.
La mode est au panachage. Une mode qui sert, peut-être, de cache-sexe pour une tactique qui consiste à racheter les entreprises créancières du Credit Suisse les moins bien portantes. Quelles que soient ses motivations, Elektrowatt ne sait que faire des participations hétéroclites qu'il prend à tour de bras. Qu'y a-t-il de commun entre Cerberus, Landis&Gyr et Vibro-Meter ? Peu de chose, apparemment, puisque le consortium sera ultérieurement démantelé.
En 1996, l'actionnaire installe un homme du métier à la tête de Vibro-Meter. Objectif avoué : redresser sa participation. Agenda secret : se débarrasser de celle-ci au plus vite. Le consortium zurichois jette son dévolu sur un ancien de Vibro-Meter. Suisse d'origine britannique, Richard Greaves, le nouveau directeur, est très attaché à l'entreprise fribourgeoise, à laquelle il a consacré 20 ans de sa vie. Sa recette est, apparemment, simple : « Il fallait se recentrer sur ce que nous savions faire. Viser des niches. Et fabriquer nos propres produits. »
Cinq ans plus tard, le recentrage a réussi, puisque Vibro-Meter a d'abord reçu en 1999 de l'avionneur brésilien Embraer le titre de « meilleur fournisseur mondial ». Et vient d'être gratifiée cette année du titre de « meilleur fournisseur 2000 » par Boeing. Explication de Richard Greaves : « C'est la première fois qu'un fournisseur dans notre branche est capable de livrer un seul type de pièce pour plusieurs types d'avions. Jusqu'à présent, Vibro-Meter fournissait douze différents systèmes électroniques de mesure de vibrations, et ses concurrents sept autres. Grâce à cette rationalisation, Boeing économiste des frais de stockage, de formation et d'installation qui représentent 17 % de ses charges. Pour le coup, Vibro-Meter empoche tous les contrats (équiper les 19 modèles de Boeing), pour un montant qui dépassera 70 millions de francs sur dix ans. Richard Greaves a aussi relancé le développement de capteurs et électronique de mesure pour hélicoptères, réussissant là aussi à proposer un système unique pour plusieurs modèles. Avec succès, puisque la marine américaine vient de lui demander d'équiper 742 hélicoptères de la marine (24 appareils par engin) et 1800 autres de l'infanterie. Un contrat qui court également sur dix ans.
Les activités de détection de glace ont, en revanche, été revendues. De même que toute la division «instrumentation», qui rapportait 10 % du chiffre d'affaires. «Ces produits n'entraient pas dans notre core-business, qui se limite essentiellement aux systèmes autour des capteurs piézo-électriques», explique le nouvel homme fort.
« On a pourtant accéléré les investissements dans la deuxième grande famille de produits de Vibro-Meter : les capteurs pour turbines à gaz industrielles (qui constituent la division industrielle). La dérégulation du marché de l'électricité aux Etats-Unis est une aubaine pour nous, explique Richard Greaves, parce qu'elle stimule fortement l'installation de turbines à gaz. Nous avons déjà gagné de nouveaux clients et nous sommes en train de conquérir les plus gros fabricants. » Optimiste, il escompte 20 % de croissance dans ce secteur, qui rapporte déjà une trentaine de millions par an. De sorte que le chiffre d'affaires, qui est passé à 80 millions l'an dernier, pourrait en atteindre 90 en 2001 et, si tout va bien, 100 en 2002.
S'il se confirme, le redressement de Vibro-Meter fera plaisir à son nouvel actionnaire. C'est-à-dire Meggitt, le groupe britannique qui a repris en 1998 l'entreprise à Siemens, qui a elle-même racheté Elektrowatt au Credit Suisse. Et à son fondateur, Adolf Merkle. Lui qui avait préféré confier son bébé à un investisseur helvétique plutôt qu'à un étranger. Par patriotisme...
PME magazine, mai 2001, Chantal Thévenoz
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