Avec Aromat, la suissitude est faite sel. Vedette culinaire: voilà cinquante ans que le célèbre condiment assaisonne nos plats. L'occasion de revenir sur l'histoire de cet ingrédient. Que serait la cuisine "domestique" suisse sans Aromat? Toutes nos sauces à salade et autres assortiments tomberaient-ils dans une inévitable fadeur? Ce sel magique est devenu si banal que l'on imagine mal l'incidence qu'il a sur nos existences. Combien de dîner entre amis illuminés par l'or jaune du fameux condiment lacto-végétale? Combien de tristes assiettes de pâtes, si sublimement magnifiées par un soupçon de sel de Thaygen (SH)? L'Aromat fait plus que donner du goût à nos plats, il en donne à notre vie. Une histoire de goût C'est à Heilbronn, en Allemagne, que Carl Heinrich Knorr ouvre, en 1838, une épicerie fine. Un demi-siècle plus tard, la maison Knorr installe une usine de conditionnement dans le canton de Saint-Gall, puis dans celui de Schaffhouse. Au début du siècle, l'entreprise décide de ne plus se cantonner à l'emballage des produits mais de se lancer dans la préparation de mets lyophilisés. Knorr met ainsi sur le marché, en 1922 la "Erbwurst". Il s'agit de soupe conditionnée sous la forme d'une saucisse. Sa préparation est simple, les fins gourmets apprécieront. Il suffit d'en délayer un peu dans de l'eau pour obtenir un potage. Ainsi à la fin des années quarante, sachets et bouillons Knorr remporte déjà un franc succès. Mais la firme agro-alimentaire ne vas pas en rester là. En 1952, elle crée une véritable révolution culinaire en commercialisant l'Aromat. Voilà donc cinquante ans que le célèbre condiment a envahi nos cuisines. Symbole helvétique Ce produit, dont la fabrication n'a jamais quitté nos frontières, bénéficie même d'un taux de notoriété de 96 % dans toute la Suisse. Au-dessus du Röstigraben existerait-il un "Aromat-Brücke"? La Suisse en manque d'identité? Pensez donc, dans quel pays existe-t-il une marque aussi appréciée et partagée par l'ensemble de la population? L'Aromat symbole helvétique? En y regardant de plus près, cet ingrédient ressemble passablement à ceux qui l'on adopté. Il est fabriqué par une entreprise qui n'a plus grand-chose à voir avec ce qu'elle était au début des années cinquante. Intégrée, dès 1958, à la Corn Product Company qui, à son tour, sera rachetée par le groupe anglo-néerlandais Unilever, la maison Knorr a subi diverses mutations. L'Aromat, cependant, n'a pas souffert le moindre changement. Le boîtier jaune à écriture verte et au couvercle rouge est toujours de rigueur. Les Suisses, eux aussi, vivent au milieu d'un univers qui a passablement changé. L'Europe s'est construite, la planète globalisée et uniformisée. Les Helvètes croient pourtant toujours constituer une exception. Qualité, précision... les mythes ont la vie dure. Même quand les faits les démentent. L'avenir, peut-être, nous fera-t-il déchanter. Si cela arrive nous pourrons toujours faire passer le goût amer de la "normalité" avec un peu... d'Aromat. Samuel Bonvin, La Liberté, Le 13.09.2002 |
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