Le Nobel de physique Carlo Rubbia propose un type de moteur interplanétaire révolutionnaire Neuf ans après sa proposition d'un nouveau type de réacteur nucléaire, le Prix Nobel italien Carlo Rubbia lance un nouveau pavé dans la mare. Ce spécialiste de la physique des particules sort une nouvelle fois de son domaine et s'attaque cette fois-ci à un nouveau type de propulsion spatiale qui pourrait révolutionner les voyages interplanétaires. Fier comme un pape, et sûr de son effet, Carlo Rubbia énonce d'une voix posée l'intitulé de sa proposition révolutionnaire qui va selon lui raccourcir considérablement les voyages interplanétaires : « propulsion spatiale nucléaire à l'aide d'une poussée purement électromagnétique ». Le Prix Nobel de physique italien a dévoilé son projet à Versailles lors du symposium sur la propulsion spatiale au XXIe siècle, le 15 mai, devant une assemblée de spécialistes. Alors de quoi s'agit-il exactement ? Au lieu d'éjecter du gaz le plus rapidement possible comme le font les classiques fusées chimiques, le physicien propose de produire de la poussée en émettant simplement de la lumière. Dans ce cas, le vaisseau spatial avance en expulsant de l'énergie sous forme de rayonnement lumineux : des quantités de photons sans masse. Ce principe, bien que difficile à comprendre au premier abord, est connu depuis très longtemps sous le nom de propulsion photonique. L'application future la plus connue est le voilier solaire, qui réfléchirait la lumière du soleil avec de très grandes voiles miroirs pour voyager vers les planètes. La poussée de la lumière solaire sur des voiles est cependant très faible, et diminue rapidement au fur et à mesure que l'on s'éloigne de notre étoile. Pour obtenir des poussées suffisantes, il faut d'autre part arriver à mettre en orbite des voiles de plusieurs milliers de mètres carrés, ce qui n'a encore jamais été fait. « Mon projet est comme une voile solaire, sauf que j'emporte mon propre soleil avec moi pour éclairer la voile miroir, explique Carlo Rubbia avec un grand sourire. Je peux donc continuer à accélérer même au niveau des plus lointaines planètes. » Et c'est pour produire la lumière de « son soleil » que le physicien a besoin de l'énergie nucléaire. Il a imaginé en quelque sorte une « ampoule » extrêmement puissante dont le rôle du filament de tungstène serait joué par un réacteur nucléaire en forme de plaque, qui se maintiendrait à une température de 3'000° C. Cette plaque rayonnerait sur chaque face de la chaleur et des rayonnements lumineux. La pile atomique serait placée au foyer d'une structure réfléchissante en forme de cône qui servirait à focaliser le flux d'énergie dans une direction afin d'augmenter l'efficacité du système. « Ce principe est tellement simple que je m'étonne encore que personne n'y ait pensé avant moi », déclare Carlo Rubbia avec un grand sourire. En fait, le physicien italien semble ignorer que l'ingénieur allemand Eugen Saenger avait déjà imaginé un moteur photonique en 1935, dont la lumière aurait été fournie par une réaction d'annihilation entre de la matière et de l'antimatière, une technologie encore très futuriste. Le principe de pile atomique de Carlo Rubbia semble en comparaison beaucoup plus réalisable. Contrairement à la fusée atomique de Hergé qui emmène Tintin sur la Lune, le moteur de Rubbia n'est pas conçu pour faire décoller une fusée à partir du sol, mais plutôt pour fournir l'énergie nécessaire à un voyage interplanétaire à un vaisseau déjà en orbite autour de la Terre. Dans ses calculs de trajectoire pour déterminer les temps de voyages vers les diverses planètes du système solaire, Carlo Rubbia prend arbitrairement un réacteur nucléaire d'une puissance de 3 GW (3 milliards de watts) ! Il s'agit là d'une puissance qui parait énorme, même pour une pile atomique. Mais le physicien italien minimise l'importance de ce paramètre: « Les centrales nucléaires d'EDF en France produisent chacune bien plus que 3 GW de puissance thermique, car seule une petite partie de cette puissance est convertie en électricité. » D'autre part, Carlo Rubbia affirme que le type de réacteur qu'il envisage est beaucoup plus simple que ceux qui servent à produire de l'électricité sur Terre, car il ne sert qu'à produire de la chaleur, et n'a pas besoin de système mécanique complexe pour l'évacuer ou la transformer en courant. D'après les calculs du physicien, ce moteur emporterait un vaisseau spatial de 20 tonnes (une masse très supérieure aux petites sondes automatiques envoyées jusqu'ici dans le système solaire) et le mettrait en orbite autour de Mars en un peu plus d'un an. Il serait alors possible de faire des allers et retours entre la Terre et Mars sans ravitailler le vaisseau en carburant nucléaire. Jupiter serait atteint en 4 ans, et Saturne en environ 7 ans. Pour le moment, le moteur photonique de Carlo Rubbia n'existe que sur le papier, et nul ne sait s'il sera un jour réalisé. En réponse aux questions qui mettent en doute la faisabilité d'un tel dispositif, Carlo Rubbia précise qu'il n'est qu'un physicien, et pas un ingénieur. « Si mes idées vous intéressent, c'est maintenant à vous de les mettre en pratique », a-t-il déclaré devant la salle remplie de spécialistes de la propulsion spatiale. Et lorsqu'un ingénieur américain lui fait remarquer que son modèle de pile atomique n'est pas réalisable à cause de contraintes thermiques trop fortes, Carlo Rubbia répond en haussant la voix « que son équipe a fait tous les calculs nécessaires, et, faites-moi confiance, ça marche ! ». Sur la question des risques potentiels d'un tel réacteur nucléaire dans l'espace, Carlo Rubbia a aussi préparé ses réponses : « En quittant la surface terrestre, le réacteur serait totalement inactivé. Il serait mis en marche une fois en orbite, quand il ne pose plus de risque pour notre planète. » Cyrille Vanlerberghe, Le Figaro, 10.06.2002 |
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