"Chaque lac suisse devrait avoir son sous-marin"

Jacques Piccard Le célèbre explorateur de la fosse des Mariannes fête ses 80 ans. Son rêve: construire de nouveaux submersibles pour mieux connaître les réserves d'eau douce

"L'eau est toujours pour moi une source d'émotion, c'est extraordinaire de la voir changer de couleur." Jacques Piccard fêtera ses 80 ans ce dimanche, mais sa passion pour les mondes sous-marins est intacte. Quand il parle des lacs, des mers et des océans, l'émotion de sa jeunesse illumine ses yeux. L'homme détient le record absolu de profondeur à moins 10'916 mètres dans la fosse des Mariannes, dans l'océan Pacifique. C'était en 1960 à bord du bathyscaphe "Trieste", construit par son père, Auguste, avec son aide.

Jacques Piccard continue de descendre dans les profondeurs, mais celles du Léman, à bord de son dernier sous-marin, le "Forel". "Je ne peux pas être blasé. J'ai toujours du plaisir en plongée, même à 10 mètres sous la surface." Si ce capitaine Némo des temps modernes porte un regard tendre sur l'eau, il est nettement plus désabusé face au monde terrestre. "Toute ma vie, je me suis débattu dans des difficultés financières."

Résultat: Jacques Piccard rêve depuis des années de construire de nouveaux sous-marins. En vain. "Les gens ne s'intéressent pas à l'eau. Pourtant, chaque lac suisse devrait avoir son sous-marin de recherche. L'eau douce est un trésor pour l'humanité. Il faut mieux la connaître pour la protéger". Alors, comme cadeau d'anniversaire, l'ingénieur désirerait surtout recevoir les 5 millions, environ, nécessaires à la construction d'un submersible... sans y croire.

Sa Fondation pour l'étude et la protection de la mer et des lacs a souvent eu de la peine à trouver un financement pour exploiter et entretenir le "Forel". Le scientifique a d'ailleurs échangé son laboratoire de Cully (VD), contre un trois-pièces par souci d'économie. Pour Jean-François Rubin, ami et biographe, l'éthique et la droiture de Jacques Piccard expliquent, en partie, ces difficultés. "Quand on a construit le sous-marin qui plonge le plus profondément du monde, il n'est pas difficile de trouver de nouvelles collaborations. Mais Jacques Piccard a toujours refusé de travailler pour les militaires." Sa vie, il l'a consacrée à la science et à l'écologie.

Jacques Piccard a d'ailleurs largement contribué à la sauvegarde de "son" Léman. "L'eau est dans l'ensemble plus propre que dans les années 1960. Mais le travail qui reste à accomplir est encore important." Une mission, certainement, pour les générations futures. Jacques Piccard continue à les sensibiliser aux problèmes de l'eau.

Depuis deux ans, grâce à de généreux mécènes, son sous-marin emmène des élèves vaudois dans les profondeurs du Léman. "Un jour, un enfant m'a dit en revenant d'une plongée: "Plus tard je serai pilote de sous-marin." Cette phrase m'a ému."

"Expo.02 doit regretter mon projet"

"Quand je vois le mésoscaphe en piteux état exposé sur l'arteplage de Morat, cela me rend triste. Mais il faudrait un million pour lui redonner son lustre. Je préférerais avoir cet argent pour construire un nouveau sous-marin." Alors, un cercle d'amis de Jacques Piccard se charge de trouver des fonds pour rénover l'attraction phare de l'Exposition nationale de 1964. En revanche, Jacques Piccard peine à pardonner à Expo.02 le refus de son projet de mini-sous-marin automatiques. "Ils ne m'ont même pas laissé la chance de le défendre. Aujourd'hui, Expo.02 doit le regretter." La direction de la manifestation avait probablement peur que Jacques Piccard ne fasse de l'ombre aux autres attraction...comme lors de l'Expo 64.

Mehdi-Stéphane Prin, Le Matin, août 2002