La montre à quartz, histoire d'un défi suisse relevé.

A la fin des années soixante, la montre-bracelet à quartz a sauvé l'horlogerie suisse. Les pionniers de l'aventure racontent leur mission impossible dans un livre réconfortant pour l'ego helvète. Une expo chaux-de-fonnière l'accompagne.

C'est de l'histoire proche, de l'histoire encore chaude, qu'on nous raconte là. Eh oui, la montre ultralégère et fiable que vous avez au poignet (à moins que vous soyez un irréductible Astérix de la mécanique) s'appelait «Mission impossible» dans les années 60. En ce temps-là les horlogers suisses qui se savaient les meilleurs du monde ronronnaient dans leur perfectionnisme, se faisaient concurrence à coups de détails raffinés et les avancées de la science leur étaient étrangères.

Quelques patrons aujourd'hui chenus ont secoué le cocotier: l'électronique commence à prendre une importance perturbatrice, si la Suisse rate ce virage, son horlogerie est foutue. En effet, la découverte théorique du transistor datait de 1948 déjà, 1958 avait vu l'invention du premier circuit intégré. Depuis, l'électronique s'intéressait à la montre et c'était une menace pour le savoir-faire des manufactures horlogères qui n'avaient pas intégré les nouvelles possibilités qu'offrait la science. Mais comment faire, dirent les horlogers, quand nous sommes une poignée de petites et moyennes entreprises, concurrentes, très spécialisées et ayant de l'électronique des notions très vagues?

En 1960, un groupe représentant sept manufactures et épaulé par la Fédération horlogère (FH) trace les grandes lignes d'un projet totalement nouveau: créer (et entretenir) un laboratoire de recherche indépendant qui trouve le moyen d'adapter les nouvelles technologies à la montre-bracelet. Ce sera le Centre électronique horloger (CEH) qui verra le jour en 1962, avec 32 actionnaires payant des quotes-parts et une «mission impossible»: créer dans les plus brefs délais une montre-bracelet électronique suisse à hautes performances.

CRISE DE CONFIANCE

Cinq ans plus tard, à l'insu du Conseil d'administration du CEH, ses chercheurs présentent la montre Bêta 21 au concours chronométrique de l'Observatoire de Neuchâtel. Elle y récolte dix prix malgré la présence du japonais Seiko et, pratiquement, répond à tout ce qu'on attendait d'elle: précision (elle l'est dix fois plus qu'une montre mécanique dans les années 60), autonomie (un an au lieu de deux jours), volume (son mouvement est 300 fois plus petit que celui du meilleur chronomètre à quartz de l'époque, un Seiko, justement! ). La Bêta 21 sera sur le marché en avril 1970, juste à temps pour la quarantième Foire de l'horlogerie.

C'était la première fois qu'un laboratoire où travaillaient des entreprises concurrentes présentait un produit fini.

Tout va désonnais très vite: la montre à quartz s'améliore, ses performances s'affinent. Sa consommation électrique sera drastiquement réduite au fil des ans. La Bêta 21 sera fabriquée par vingt entreprises. En 1971 une crise de confiance entraîne le départ de quelques manufactures. Les sept restantes vont continuer avec une deuxième mouture du CEH, le CEH 2, qui survivra grâce à une alliance avec un laboratoire de microtechnique. Et quand vers 1975 commencent les premiers ravages de la crise horlogère qui plonge toute l'horlogerie dans des difficultés économiques et exige des restructurations, c'est le CEH 3, laboratoire devenu fédéral car ce type de recherche intéresse aussi l'industrie non horlogère, qui prendra le relais.

RACONTER L'AVENTURE

Jusqu'en 1998, le CEH a présenté 75 groupes de brevets. Il considère que sa mission impossible est accomplie et se dissout. Terminée, la formidable aventure de la montre à quartz va désormais occuper quatre anciens cadres du CEH... pour la raconter.

Heureuse initiative de montrer à un large public, surtout dans le marasme actuel où on n'est pas très enclin à faire confiance aux managers, qu'avec de l'engagement et des idées, les plus sombres présages peuvent être déjoués. L'aventure de la montre à quartz vient de sortir de presse. L'événement est marqué par une exposition temporaire au Musée international de l'horlogerie de La Chaux-de-Fonds où l'on suit pas à pas la mission impossible grâce à des témoins concrets, objets et prototypes prêtés à long terme au musée.

Itinéraire illustré du petit barreau de quartz.

Illustrer pour le public une aventure hautement technologique est une gageure. Le MIH a opté pour un itinéraire court qui explique le défi et les voies suivies pour le relever.

Les chercheurs n'ont pas misé d'emblée sur la seule option quartz et l'exposition fait suivre aux visiteurs trois voies de recherche. Deux ont été rapidement abandonnées: il s'agissait, respectivement, de la voie prudente qui se contentait de pousser des principes déjà connus comme la montre à diapason, et de la voie insolite, carrément visionnaire, qui explorait du côté de la montre atomique.

Mais c'est le quartz qui allait offrir la voie royale. Très grossièrement, il s'agit d'appliquer à la montre-bracelet quelques principes déjà connus. Bref historique: en 1880, Pierre et Jacques Curie découvrent la piézoélectricité du SiOz (quartz): soumis à des tensions mécaniques, certains cristaux subissent une polarisation électrique. En 1921 est mis au point l'oscillateur à quartz.

Il s'agit, pour actionner une montre, de coupler un barreau de quartz à un circuit électronique qui le fasse vibrer à une fréquence très stable. Ce qu'avaient trouvé les Japonais. La riposte suisse allait être de concrétiser un résonateur à quartz miniaturisé (300 fois plus petit) grâce à la micro-électronique.

Au CEH, on donne au quartz une géométrie qui assure une vibration idéale et on met au point des suspensions qui lui évitent une perte d'énergie et lui assurent une bonne résistance aux chocs. Quant au circuit électronique, son rôle est d'entretenir les vibrations du quartz et de commander l'affichage. Ce dernier, le CEH le choisit analogique, ce qui permet une plus longue durée de la pile que l'affichage dit pas à pas.

Ni la miniaturisation, ni le montage, ni la résistance aux chocs ne posaient des défits insurmontables en 1963. C'est la consommation excessive qui faisait surtout problème: il fallait la réduire pour que la pile dure au moins une année, tout en gardant au mouvement un volume compatible avec une montre-bracelet. Un compromis délicat si on sait qu'en augmentant la fréquence de résonance, les dimensions du quartz diminuent mais la consommation augmente. D'expériences en ajustements, le CEH met cinq ans à trouver une montre compétitive. Il consacrera les trente années suivantes à l'affiner, à la perfectionner, à enrichir ses fonctions. Le principe aura de multiples retombées non horlogères, dont par exemple la photolithographie. «Mission impossible» accomplie, le CEH cesse ses activités en 1998 et entre tête haute dans l'histoire.

En 2000, les fabricants suisses ont produit 31 millions de montres terminées. Dont près de 28 millions sont des montres à quartz analogiques.   

Musée international de l'horlogerie, rue des Musées 29, La Chaux-de-Fonds, jusqu'au 20 octobre 2002, tous les jours sauf lundi de 10h à 17h.

L'aventure de la montre à quartz. Max Forrer, René Le Coultre, André Beyner, Henri Oguey. Distribution Centredoc, rue Jaquet-Droz 1, 2000 Neuchâtel 7.

Eliane Waeber Imstepf - La Liberté 21 mars 2002