Sans nouvelle aide, Swissmetro risque l'arrêt définitif. Jacques Neirinck envoie un signal de détresse pour sauver un savoir-faire important. Et demande un crédit d'un million. Le projet de Swissmetro recevait une aide d'un million par année accordée en 2000 et en 2001. Mais rien en 2002. Le juvénile doyen du parlement demande que le Conseil fédéral restaure, pour cette année, ce crédit d'un million, dans l'attente d'une décision sur un financement plus conséquent. Le conseiller national démocrate-chrétien est-il satisfait de la réponse du conseiller fédéral Moritz Leuenberger? Jacques Neirynck: Non, puisqu'il n'y a pas eu de réponse claire. Moritz Leuenberger affirme que la demande de crédit n'a pas été déposée en temps utile. Sur le problème de fond, on laisse entendre d'une part que la Confédération va peut-être bouger et injecter de sept à dix millions pour relancer le projet. Et d'autre part, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger me répond que le Conseil fédéral devra prendre une décision: soit mettre le paquet en mettant l'accent sur la recherche technologique, soit arrêter ce goutte-à-goutte d'un million par année. Mais quand cette décision va-t-elle être prise? Je le répète: l'équipe qui développe Swissmetro ne dispose actuellement plus de ressources financières. Sans un soutien immédiat de la Confédération, cette situation conduira à l'arrêt définitif du projet et à la perte d'un savoir-faire important. Vous êtes membre de la commission transports et télécommunications. A ce titre, vous avez demandé que 120 millions soient investis en cinq ans dans ce projet Swissmetro. Pourquoi une telle somme? Et quelle a été la réponse? - Il faut se concentrer sur ce qui est nouveau dans ce projet, c'està-dire la technologie de transport de passagers sous vide en tunnel. Pour cela, il faut réaliser une maquette au 1:10 sur 500 mètres de long pour étudier ces problèmes. C'est, dans ce projet, la seule inconnue: le comportement d'un convoi circulant à grande vitesse dans un tunnel dont on a fait le vide. Les Allemands et les Français maîtrisent les autres questions. Sur ce point, la Suisse pourrait gagner une certaine expertise. Ensuite, il faut construire un prototype et une station test, pour expérimenter la mise sous pression. C'est le problème de l'arrêt: il faut interrompre le vide et le recréer très rapidement, pour permettre aux passagers de sortir du wagon très rapidement. J'ai donc proposé une motion dans ce sens à la commission. Pour le moment, je n'ai toujours pas reçu de réponse. Verra-t-on un jour, ici, un Swissmetro? - Il est clair qu'il n'est plus question de construire un réseau Swissmetro en Suisse. On réfléchit maintenant à un Eurometro, un réseau qui couvrirait par exemple Lyon à Munich. Ainsi la Suisse aurait une idée originale, une expertise dans un domaine, le vide, et travaillerait avec les Français et les Allemands. L'idée est de lutter, en Europe, contre deux facteurs dramatiques: l'augmentation du trafic aérien et du trafic voitures. L'un comme l'autre risquent de doubler en une décennie, ce qui mettrait la Suisse et l'Europe dans une situation inextricable. On va tranquillement dans un mur, à moins que la population cesse de se déplacer, ce dont elle n'a manifestement pas envie. Justement, dans cette optique, quel est l'intérêt stratégique d'une technologie comme Swissmetro? - Ce projet est une alternative raisonnable pour des déplacements entre 500 et 1000 kilomètres. Sur ces distances, on bat facilement la voiture et l'avion. Et dans le cas particulier de la Suisse, on contourne la double difficulté inhérente au pays: une topographie très tourmentée trop de tunnels, de viaducs - et le fait que le terrain coûte cher. Ce sont d'ailleurs ces deux raisons, l'une physique, l'autre juridique, qui expliquent la difficulté de construire en Suisse un réseau TGV. Mais ce débat éclaire l'éternelle question helvétique, celle de ses structures de décision: on ne s'engage pas dans des projets de véritable innovation. C'est ainsi que la Suisse a manqué, il y a trente ans, le tournant de la microélectronique alors que c'était le pays le plus avancé en microtechnique. Rail 2000, pourtant, a un beau slogan: «Plus souvent, plus vite, plus direct, plus confortable». - La rapidité, parlons-en. En corrigeant de petites imperfections, les trains suisses iront un tout petit peu plus vite. Mais on n'ira certainement pas aussi vite que le réseau TGV français, à titre d'exemple. J'ai posé une question simple à M. Friedli, le directeur de l'Office fédéral des r: transports. Une fois que tous les travaux de Rail 2000 seront terminés, quel sera le gain de temps sur le trajet important, la grande diagonale qui relie Genève à Saint-Gall. Actuellement, il faut 4h31 pour couvrir ces 420 km. On est donc en dessous des 100 km à l'heure. Question facile, mais M. Friedli a été incapable d'y répondre. Après beaucoup de tergiversations, il a finalement estimé que le gain de temps, sur cette ligne Genève-Saint-Gall, pourrait être d'une demi-heure à une heure. Ce qui reste dérisoire par rapport à ce qui est prévu pour les TGV. »Cela signifie que Genève sera plus proche de Paris ou de Marseille que de Saint-Gall. J'ai aussi demandé combien cela allait coûter, toujours sur cette ligne-là. Un chiffre vague a finalement été articulé: 4 milliards. Donc, on va obtenir un petit résultat en investissant des moyens financiers très importants. En d'autres mots, Rail 2000 est la limite de la technologie du train ordinaire. Et quand on est à la fin d'une technologie, on doit investir énormément pour obtenir de tout petits avantages. Dans cette affaire, le principal adversaire de Swissmetro n'a-t-il pas été les CFF? - L'élaboration de Rail 2000 a coïncidé avec le refus d'envisager la solution Swissmetro. La direction des CFF s'est opposée au concepteur du projet jusqu'à lui rendre la vie impossible et à l'amener à quitter les CFF. La doctrine était claire: on fait Rail 2000 et on ne s'occupe pas de Swissmetro. Ce projet pose aussi la question de nos rapports avec l'Europe... - Bien entendu. Le livre blanc européen sur les transports pose une question centrale. S'il y a une prérogative qui doit être attribuée à l'exécutif de l'Union européenne, c'est bien les transports. Comme la Confédération helvétique avait pris, dès le début, les chemins de fer dans ses attributions. C'est un domaine où l'abandon de souveraineté est indispensable. Si la Suisse veut défendre à tout prix sa souveraineté, son autonomie de décision, elle va devenir la tache noire au milieu de l'Europe que les trains à grande vitesse, les transports efficaces vont devoir contourner. La Liberté - Pierre Pauchard, 20.03.2002 |
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