Du colza dans votre moteur...

Des voitures ou des camions qui roulent à l'huile de colza, c'est désormais une réalité. Rencontre avec Wolfgang Uhlig, l'homme qui veut mettre de l'huile végétale dans votre moteur. Interview non polluante.

Vous roulez au diesel? Sachez-le, vous pourriez tout aussi bien mettre directement de l'huile de colza dans votre moteur, à l'instar de Wolfgang Uhlig! Cet ingénieur un peu touche-à-tout s'intéresse depuis longtemps aux possibilités de trouver des carburants alternatifs, notamment grâce à l'énergie solaire. Une rencontre décisive va donner une nouvelle impulsion aux idées qui lui trottaient dans la tête. En octobre 2002, il fait la connaissance de deux ingénieurs suisses alémaniques, qui cherchent à développer un système permettant à des moteurs diesel de rouler à l'huile de colza.

Pour Wolfgang Uhlig, c'est le déclic! Il achète une Polo TDI et la fait équiper - avec l'aide de ses deux associés suisses-alémaniques - du système électronique BIODRIVE, qui permet de passer de l'alimentation diesel à l'huile végétale. Après avoir roulé quelques milliers de kilomètres, convaincu de la qualité du produit, il commence à prospecter la clientèle, à savoir des entreprises.

Quelques mois plus tard, sa Polo pas comme les autres affiche déjà 15'000 kilomètres au compteur. Et Wolfgang Uhlig, directeur de la société "Produits Techniques", croit plus que jamais au potentiel des huiles végétales comme carburant alternatif pour les moteurs diesel.

Comment faites-vous pour transformer une voiture avec un moteur diesel en un véhicule qui utilise de l'huile de colza comme carburant?

Très simplement en fait: il suffit d'installer notre système électronique, appelé BIODRIVE, sous le capot. Ce système est commandé par un ordinateur incorporé. Le démarrage du moteur se fait avec du carburant diesel et, quelques minutes après, dès que la température est suffisamment élevée, l'alimentation du moteur passe automatiquement à l'huile végétale. Si, pour une raison quelconque, le conducteur préfère rouler au diesel, il peut évidemment le faire sans aucun problème.

Quand on roule au colza, une minute avant l'arrêt complet du moteur, on appuie sur un bouton, et le moteur se met à nouveau à l'alimentation diesel.

Ce système est-il coûteux à installer?

J'ai acheté ma Polo TDI environ 25'000 francs, et l'installation du système BIODRIVE m'a coûté 5'000 francs. En fait, il faudrait rouler environ 50'000 kilomètres pour que l'investissement soit vraiment amorti. Avec mes associés, nous croyons en ce carburant naturel, mais nous ne visons pas vraiment le marché automobile: nous ciblons celui des camions, des gros véhicules de livraison qui avalent un grand nombre de kilomètres par jour, des tracteurs et autres machines agricoles qui roulent au diesel, des élévateurs, des bateaux, etc.

Sur un camion, l'installation coûte 10'000 francs environ. Ces véhicules sont chers, ils roulent énormément, l'investissement est donc beaucoup plus vite rentable! Même des 40 tonnes peuvent facilement être adaptés...

Faut-il apporter d'importantes modifications au moteur?

Non, nous ne touchons absolument rien au moteur, ce qui fait que le véhicule reste sous la garantie du constructeur. La voiture a simplement deux réservoirs: l'un pour le diesel et un autre pour l'huile végétale.

Mais quels sont les avantages de rouler à l'huile de colza?

L'huile végétale est produite à partir de matières premières locales renouvelables. Le pot d'échappement dégage très peu de C02, en fait pas plus que la plante n'en a accumulé durant sa croissance. Il n'y a pas de souffre, et nettement moins de particules polluantes qu'avec le diesel. Nous faisons actuellement des essais - notamment à l'Ecole d'ingénieurs de Bienne pour connaître les retombées très exactes en matière de pollution.

Quel type d'huile utilise-t-on exactement? De l'huile de ménage pour cuisiner?

Vous pouvez utiliser presque tous les types d'huiles végétales! On peut prendre de l'huile de colza, bien sûr, mais aussi de l'huile de tournesol, de soja, de maïs, de coton... Il est possible de rouler avec de l'huile vendue en bouteille dans les magasins, mais pour des motifs d'économie évidents nous préférons utiliser de l'huile végétale récupérée et régénérée. Vous savez, nous récupérons par exemple l'huile utilisée par les restaurants pour faire des frites! Nous la régénérons ensuite dans notre installation de Lenzburg, en Argovie. Nous sommes actuellement en contact avec le Mc Donald's et d'autres restaurants qui font beaucoup de fritures, pour récupérer leurs huiles de cuisine usagées.

Il n'y a aucun déchet, car la matière récupérée et séparée de l'huile lors de la régénération sert pour nourrir des animaux: tout est recyclable!

Et comment fait-on le plein?

Notre but étant de travailler avec des entreprises, nous leur livrons un container d'huile avec une pompe. Chaque utilisateur a son code et fait le plein de son véhicule. Nous assurons donc provisoirement livraison et stockage de l'huile.

Vous avez déjà des contrats avec des sociétés?

Nous sommes en contact avec plusieurs entreprises, et notamment avec un grand boulanger genevois, qui pourrait peut-être équiper sa flotte de 20 véhicules. Nous avons aussi par exemple modifié un trax à Riederalp, en Valais, qui transporte l'hiver les clients de l'hôtel à la gare: il roule à l'huile végétale. Nous avons également deux camions à l'essai avec ce système en Suisse alémanique, appartenant à la société Baertschi qui possède une flotte de 700 véhicules. Chez Feldschlösschen, le producteur de bière, nous avons également modifié un élévateur à moteur diesel qui fonctionne à l'huile végétale... Si l'entreprise est convaincue, elle équipera sans doute ainsi tous ses élévateurs!

Vous semblez convaincu par l'intérêt de l'huile végétale comme carburant...

Oui, tout à fait. Nous n'entendons pas concurrencer le diesel, ce carburant "vert" est simplement complémentaire! Nous pouvons ainsi économiser les ressources naturelles de la planète en utilisant moins d'énergie fossile. L'huile végétale sert déjà de carburant en Allemagne, où deux sociétés sont actives dans ce domaine. Vous savez, quelque 20'000 véhicules roulent à l'huile végétale dans ce pays...

J'ai roulé à l'huile de colza

Contact. La petite VW Polo TDI s'ébroue comme n'importe quelle autre voiture. Normal: pour l'instant, elle roule au diesel, son carburant "naturel". Sous le tableau de bord, un étrange petit ordinateur est le seul signe qui révèle que cette automobile est différente. Un voyant rouge indique que le moteur est actuellement alimenté par du carburant diesel.

Après quelques minutes d'utilisation, dès que la température de l'huile de colza est suffisamment élevée - c'est-à-dire à environ 40 degré -, un autre voyant s'allume, et l'alimentation passe automatiquement à l'huile de colza. En fait, tout dépend de la température extérieure: dès qu'il fait chaud, ce passage d'un carburant à l'autre se fait plus rapidement. Et si la voiture a roulé il y a moins de deux heures, la permutation est également très rapide, presque instantanée. En fait, cela prend, selon les cas de figure, de deux à dix minutes.

Pour le conducteur, le passage d'un mode d'alimentation à l'autre passe totalement inaperçu.

Accélération: la voiture répond parfaitement, les 100 CV développés par le turbodiesel à injection directe sont bien là! En troisième ou quatrième, les reprises à bas régime sont franches, et le moteur a du couple. Impossible de se rendre compte que cette voiture est différente d'une autre, si l'on n'est pas averti: l'huile de colza n'altère en rien l'agrément ou les sensations de conduite. Seul un très léger ronflement pourrait mettre la puce à l'oreille. Et encore, peut-être n'est-ce que le bruit propre aux moteurs diesel.

Un coup l'œil dans le rétroviseur suffit  à nous rassurer: pas de fumée noire, style friture carbonisée! A l'arrêt, en revanche, contact enclenché, une légère et étrange odeur d'huile de cuisine sort du pot d'échappement...

Tiens, ça ouvre l'appétit: et si on allait se déguster des filets de perches-frites?

Les transports publics genevois et l'ester de colza

Les transports publics genevois jouent la carte écologique. Une première expérience pilote avait été tentée de juillet à septembre 2002; elle a été reconduite dès le mois de janvier de cette année. Jusqu'à la fin 2003, un bus des TPG roulera à l'ester de colza à travers le canton de Genève. L'ester de colza, ou carburant biodiesel, est en fait fabriqué à partir de l'huile de colza, après quelques transformations chimiques.

C'est la société genevoise Dupraz Bus, spécialisée dans le transport en autocars et sous-traitant des transports publics genevois, qui gère cette expérience. Le directeur Andréas Thalmann précise: "l'ester de colza est un carburant biodiesel qui peut être utilisé comme tel, sans aucune modification. Nous avons juste changé quelques tuyaux d'alimentation sur le bus en question, mais cela ne coûte que quelques centaines de francs. La société coopérative Eco Energie Etoy produit ce carburant alternatif. Mais il est également possible de ne faire le plein qu'avec du diesel traditionnel, si par exemple notre citerne d'ester de colza est vide."

Un premier bilan s'est avéré plutôt positif l'ester de colza est facile d'emploi, la puissance du moteur reste inchangée, et la consommation est à peine plus importante... Seul bémol, une odeur de friture aurait importuné certains chauffeurs! Eh oui... Ceux-ci se sont néanmoins déclarés satisfaits de l'expérience.

"Economiquement, c'est pour nous une opération blanche, souligne Andréas Thalmann. Au niveau de la pollution, c'est une solution intéressante, mais il faut peut-être relativiser les choses. Il semblerait que le bilan écologique global, à savoir l'énergie utilisée depuis le début jusqu'à la fin du processus pour fabriquer de l'ester de colza, ne soit pas forcément meilleur que celui d'un carburant traditionnel. Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, la production d'ester de colza par la coopérative Eco Energie ne pourrait couvrir, au maximum, que la consommation totale des transports publics genevois si tous ces bus roulaient avec ce type de carburant. Pour l'instant, ce carburant alternatif est donc surtout intéressant pour des marchés de niche."

La société Dupraz Bus aurait également souhaité tenter l'expérience du biodiesel (ester de colza) sur ses limousines et minibus, mais elle s'est heurtée à la méfiance de certains constructeurs automobiles: les voitures et autres minibus ne bénéficient plus de la garantie d'usine si un autre carburant que le diesel traditionnel, prévu à l'origine, est utilisé.

Les bonheurs du biodiesel

Eco Energie Etoy est une coopérative d'agriculteurs romands, la plupart vaudois: cette société fabrique de l'ester méthylique de colza,  ou biodiesel, à partir des graines de colza. Explications d'Eric Herger, gérant de la coopérative: "Schématiquement, nous rajoutons 13 à 14 % de méthanol à l'huile de colza: c'est l'estérification. Cela rend l'huile plus fluide et permet de l'utiliser alors comme carburant des moteurs diesel. On peut employer l'ester de colza pur ou le mélanger avec du diesel traditionnel: c'est le gros avantage!"

Au niveau de la pollution, les spécialistes estiment que l'énergie dégagée pour produire 1 litre de diesel traditionnel permet de fournir 2,5 litres de biodiesel. Plus concrètement, le biodiesel permet de rejeter moins de particules polluantes que le diesel. Il n'y a pas d'émission d'oxydes de souffre avec ce système, ce qui permet un meilleur rendement du catalyseur. En revanche, la même quantité de CO2 est dégagée. "Mais ce CO2 est utilisé lors de la photosynthèse, c'est-à-dire par les plantes pour se nourrir. C'est une énergie renouvelable, un cycle de vie... affirme Eric Herger. Mais l'utilisation de l'ester de colza restera limitée, ne serait-ce qu'en raison de la surface cultivable de colza dans notre pays. En fait, c'est un carburant complémentaire au diesel, pas un concurrent!"

Les directives de l'Union européenne viseraient néanmoins à ce que les biocarburants représentent dans un proche avenir 5 à 7 % de la consommation totale. En Allemagne, il existe d'ores et déjà un lobby du biodiesel, et 1'500 stations d'ester de colza essaiment le pays, également à l'attention des véhicules de particuliers. "En 2003-2004, un million de tonnes d'ester de colza vont être produites dans ce pays", conclut Eric Herger.

Du côté d'Eco Energie Etoy, on se penche actuellement sur les possibilités de fabriquer de l'ester méthylique de colza à partir du traitement d'huiles végétales usagées, dont celles des restaurants. Décidément...

Jean-Pierre Mathys, Market Magazine, 07-08.2003