Les moniteurs plats crèvent l'écran

Deux technologies se partagent le secteur de la visualisation : plasma pour les grands écrans, cristaux liquides pour les autres. Cet énorme marché est devenu le lieur d'une féroce concurrence entre les producteurs coréens, nippons et taiwanais.

La mort des gros écrans d'ordinateurs et des téléviseurs encombrants est déjà programmée. Les écrans plats à cristaux liquides et les écrans plasmas sont prêts à leur donner le coup de grâce. La disparition du tube cathodique annonce aussi un confort visuel qui n'est plus du luxe ! Un écran plat a en effet tout à gagner d'une comparaison avec un écran classique CRT (Cathod Ray Tube). Moins encombrants, plus légers, les écrans à cristaux liquides (LCD pour Liquid Crystal Display) consomment également moins d'énergie, fatiguent moins les yeux et, pour ne rien gâcher, sont nettement plus élégants que leurs homologues traditionnels. Même la taille de l'écran est un avantage, puisqu'un écran LCD 15 pouces correspond à peu près à celle d'un écran à tube cathodique 17 pouces ! La contrepartie est un prix plus élevé que les écrans cathodiques, même si les tarifs diminuent régulièrement depuis quelques années. Un écran 17 pouces est aujourd'hui jusqu'à deux fois moins cher qu'en 2001.

Cette technologie des cristaux liquides est déjà ancienne. En 1888, des botanistes autrichiens baptisaient du nom de cristal liquide une substance fluide qui, à certaines températures, montrait des propriétés optiques proches de celles des cristaux. Mais ce n'est qu'au siècle suivant que cette découverte fut mise en application pour contrôler, par exemple, l'affichage dans les montres à quartz. En informatique, elle est de plus en plus couramment utilisée dans la conception des écrans d'ordinateurs portables. Aujourd'hui, ce procédé équipe des millions d'appareils différents dans le monde, des calculettes aux téléphones portables.

Les cristaux liquides sont des molécules organiques ayant la propriété de s'orienter selon un axe qui varie en fonction de l'intensité du champ électromagnétique auquel on les soumet. A cette propriété s'ajoute la capacité à transmettre de la lumière polarisée et à en changer l'orientation. C'est sur ce principe que la majorité des écrans LCD sont fabriqués. Un procédé rendu possible grâce à l'existence de certaines substances transparentes, conductrices d'électricité. Les cristaux liquides sont en effet pris en sandwich par des filtres polarisants sur lesquels on ajoute une grille de fils conducteurs transparents, dans le but de différencier les points qui composent l'écran. Cette grille est en réalité composée de fils disposés verticalement sur l'une des plaques, et horizontalement sur l'autre. Lorsque les fils sont activés, le champ électrique produit à leur intersection fait pivoter localement les particules de cristaux liquides, ce qui empêche la lumière de passer, affichant ainsi un point noir.

Relativement simple, ce processus a longtemps été utilisé pour l'affichage de petits écrans (calculettes, portables, etc.). Moins adaptés aux écrans d'ordinateurs (le champ électrique très faible ne fait réagir que lentement les particules), cette technologie dite à matrice passive a progressivement cédé la place aux matrices actives TFT (Thin Film Transistor). Les écrans à matrice passive ont totalement disparu aujourd'hui.

Le principe demeure pourtant le même. Mais, au lieu d'activer successivement les points à l'aide de fils conducteurs, chacun d'eux est contrôlé par un transistor qui agit comme un interrupteur. Pour ce faire, on interpose entre la lumière et les cristaux liquides une mince plaque recouverte de centaines de millions de minuscules transistors, d'où le nom donné à ces écrans: TFT (Thin Film Transistor, fine couche transistor). Ces transistors, à partir d'un courant très faible, créent un champ électrique important. Chaque point peut alors être activé individuellement et passer en continu d'un état à l'autre. En modulant l'intensité du courant, on permet aussi aux transistors de produire directement des niveaux de gris, transformés en niveaux de couleurs par des filtres. C'est d'ailleurs sur son aptitude à allumer et à éteindre ces transistors rapidement que l'écran LCD pêchait à ses débuts. Ce problème de rémanence tend à disparaître avec la maturité des techniques. La majorité des constructeurs de moniteurs TFT ont adopté la technologie TN + Film (Twisted Nematic). Liyama et  Nec-Mistubishi lui ont préféré les technologies MVA (Multidomain Vertical Alignment) et IPS (In-Plane Switching), créées par NEC et Hitachi. Ces différentes technologies s'appuient sur le positionnement des molécules de cristaux liquides par rapport aux substrats en verre de l'écran (parallèle ou perpendiculaire), et sur leur capacité de rotation à 90 degrés lorsque le courant est appliqué.

Même si certains points faibles sont encore à résoudre, les constructeurs ont cependant fait d'énormes progrès. Selon le cabinet d'analyse américain DisplaySearch, le marché mondial des moniteurs à cristaux liquides s'est accru de 17 % entre le premier trimestre 2001 et le premier trimestre 2002 avec un total de 7,47 millions d'unités vendues. Et pour la première fois, les ventes de ces écrans plats dépasseront en 2002 celles des moniteurs cathodiques, soit 30 milliards de dollars. Et, en 2003, on devrait même atteindre un point culminant avec des dépenses sur le premier semestre qui dépasseront celles cumulées sur l'année 1999.

Pour l'avenir, les estimations font état d'une progression moyenne des ventes annuelles d'écrans plats de 49 % entre 2001 et 2006, pour atteindre un volume de 113 millions d'unités et une part de 82 % du marché des écrans d'ordinateurs, soit plus de 50 milliards de dollars. Sur la même période, celles des moniteurs cathodiques devraient décliner de 24 % par an. Ce renversement de la hiérarchie se reflète aussi dans la tendance actuelle des vendeurs d'ordinateurs à proposer leurs PC avec des offres spéciales de réduction sur des moniteurs plats.

Malgré tout, le procédé de fabrication demeure encore très coûteux pour les écrans LCD au-delà de 40 pouces (110 cm). Car plus la plaque est grande, plus il y a de défauts de fabrication. La solution: le plasma, qui s'accommode fort bien des grandes tailles et ne sait pas descendre au-dessous de 32 pouces (81 cm). Produit de rêve à la complexité extrême, large écran et utilisation mixte informatique et vidéo, l'écran plasma (ou PDP, Plasma Discharge Panels) dispose de nombreux arguments pour séduire. Bien qu'encore très onéreux - les prix ont pourtant, eux aussi, été divisés de plus de moitié depuis 2001 - le plasma est un produit d'exception qui se fait de plus en plus populaire. A tel point qu'il devrait être la vedette des ventes en 2003 dans le secteur de l'électronique de consommation, notamment dans des configurations de home cinéma. Avec la croissance des marchés industriel et familial des écrans plasmas, ceux-ci devraient représenter, en 2003, un tiers du marché des écrans plats. D'ici 2005, la demande mondiale devrait même passer de 500'000 à près de 4 millions d'unités, soit l'équivalent de plus de 8 milliards de dollars. Pour répondre à l'afflux des demandes, les constructeurs s'allient et développent leurs unités de production.

 

A l'inverse du LCD, l'écran plasma produit de la lumière. La technologie repose en effet sur une matière portée à l'état gazeux dont les atomes ou molécules sont ionisés, c'est-à-dire conducteurs d'électricité. Entre deux plaques de verre plates, dans un espace de 0,1 millimètre environ, des milliers de minuscules cellules plaquées aux parois sont tapissées de molécules de phosphore (luminophores rouges, bleus ou verts, les couleurs se répartissant en bandes verticales). Un mélange gazeux (généralement néon-xénon) sous une forme plasmatique est emprisonné dans l'espace situé entre les deux plaques. Quand la tension électrique traversant les cellules dépasse 100 volts, le mélange gazeux génère des rayons ultraviolets, invisibles à l'œil humain, qui viennent frapper la couche de luminophores, la faisant ainsi paraître fluorescente. Les 400'000 pixels (d'une taille de 1,08 millimètre) de l'écran reçoivent cette information à différents niveaux, produisant alors une image d'une remarquable qualité.

Cette qualité d'image bien supérieure à celles des écrans CRT et même aux LCD a de quoi faire rêver industriels et consommateurs! La taille de ces surfaces très larges a d'ailleurs été adaptée aux besoins du grand public: de 32 pouces (82 centimètres de diagonale) à 42 pouces (105 centimètres) pour les consommateurs, et de 50 pouces (127 centimètres) à 61 pouces (155 centimètres) pour les entreprises et l'affichage public. Seul hic, le prix. Les écrans plasmas 32 pouces, par exemple, coûtent aujourd'hui en moyenne entre 20 % et 30 % plus cher qu'un TFT. Et cela en raison des coûts de production encore élevés et du fort taux de déperdition en bout de chaîne. Sur dix écrans fabriqués, deux partent aussitôt à la poubelle.

Un marché dominé par les asiatiques

Le marché des écrans plats, qu'ils soient à cristaux liquides ou plasma, est largement dominé par les constructeurs asiatiques qui se livrent une concurrence féroce. Alors que le Japon a longtemps dominé le secteur avec Sony, Hitachi, Sharp, NEC, Panasonic ou Toshiba, la Corée du Sud a pris le dessus sur son voisin depuis deux ans. Samsung, le premier conglomérat (ou "chaebol") de la péninsule, a pris la première place des ventes tous écrans (téléviseurs et moniteurs ordinateurs). Un succès qui a fait des émules. Grâce à son alliance avec le hollandais Philips, LG (un autre "chaebol" sud-coréen) occupe actuellement la seconde place des écrans LCD-TFT, le plus gros marché du secteur.

Pour répondre à cette domination coréenne, le japonais Matsushita (Panasonic) s'est allié à son compatriote Toshiba dans la fabrication de LCD, et au fabricant de fibres synthétiques Toray Industries dans les plasmas, alors que Sony s'est rapproché de NEC pour développer des téléviseurs plasmas. Sharp s'estimant assez fort pour rester seul. Or l'arrivée en force des producteurs taiwanais pourrait changer cette donne et faire encore baisser les prix.

Nouvelles technologies, nouveaux matériaux

De nombreuses pistes sont explorées par les scientifiques et les industriels afin de mettre au point l'écran du futur: léger, design, mince, voire invisible. Chaque constructeur cherche LaA technologie qui pourrait lui donner l'avantage sur ses concurrents. Pionnier des écrans LCD depuis les années 70 avec ses premières calculettes, le japonais Sharp, a dévoilé, en octobre dernier, un écran avec circuit informatique intégré lui permettant ainsi de fonctionner comme un ordinateur. Ces nouveaux écrans utilisent la technologie propriétaire CSG (Continuous Grain Silicon) du fabricant japonais, qui permet d'intégrer les microprocesseurs directement dans l'écran et d'économiser ainsi de la place, de réduire les coûts de production et d'obtenir des résolutions ultra-fines.

Les nouveaux matériaux plastiques s'avèrent être aussi un domaine de recherche prometteur. Le géant Sony a, par exemple, développé un plastique sept fois plus léger et trois fois plus fin que les verres traditionnellement utilisés pour la fabrication des écrans LCD. Ce qui réduit considérablement le poids des appareils. L'innovation de Sony réside dans la capacité à transférer sans les endommager les composants, dont la fabrication nécessite une température de 400 degrés (rédhibitoire pour les plastiques), du substrat de verre, où ils sont élaborés, sur le support plastique.

Et pourquoi pas des écrans de télévision flexibles et roulables? Ce projet, a priori farfelu, pourrait pourtant être commercialisé à partir de 2005. Cette technologie est notamment le fruit de recherches menées par un laboratoire britannique qui a adapté un composé plastique électroluminescent, le p-phénylènevinylène. Celui-ci a ensuite été perfectionné par la société Cambridge Display Technology et a mis au point un polymère, le Light Emitting Polymer (LEP). Reste encore à franchir un dernier obstacle avant la production: trouver un écran flexible qui protège les composés de la corrosion par l'oxygène et la vapeur d'eau. Les applications seront multiples, allant des écrans de téléphones ou d'ordinateurs aux écrans cousus à des vêtements.

Du côté de la recherche fondamentale, les nanotubes de carbone sont étudiés de près pour leur potentiel en tant que sources d'électrons pour écrans vidéo plats. Et dans ce domaine, l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) fait un travail de pionnier. Dans les écrans à émission de champs (ou FED pour Field Emission Display), destinés pour l'instant en priorité à l'instrumentation médicale, les nanotubes sont utilisés pour amplifier le champ électrique. Le processus est relativement connu. Il consiste à convertir de l'énergie des électrons en lumière visible, comme pour les tubes cathodiques classiques. Le premier écran plat de ce type a été réalisé par le constructeur coréen Samsung en 1999. Toutefois, rien ne permet de dire aujourd'hui si cette dernière technologie sera moins chère que celle réservée aux écrans LCD.

Amaya Chui, Market Magazine, 02.2003