L'EPFL et la Fondation suisse pour les cyberthèses veulent mettre la haute technologie au service des paraplégiques. Trois appareils sont actuellement en développement. Ils visent à stimuler électriquement les muscles des jambes des personnes paraplégiques, afin qu'ils produisent les mouvements de la marche. Comment le corps humain commande-t-il aux muscles de bouger? A l'aide d'impulsions électriques. Partant de ce constat, la Fondation suisse pour les cyberthèses a décidé de développer une gamme d'appareils extrêmement sophistiqués, destinés à stimuler les muscles des personnes paraplégiques pour les entraîner et, dans certains cas, les faire marcher. C'est ce que l'on appelle des cyberthèses. Elle s'est associée pour l'occasion au laboratoire de systèmes robotiques de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui groupe toutes les compétences nécessaires au projet. Le principe de base des trois appareils est le même. Il s'agit de maintenir les jambes avec des attelles articulées et de stimuler les muscles par l'intermédiaire d'électrodes. Si le principe est simple, la réalisation est extrêmement difficile. Les mouvements naturels, que l'on essaie de copier, sont eux-mêmes très complexes. Et envoyer des impulsions, aussi fines soient-elles, ne suffit pas: il faut que le système dispose d'une boucle de rétroaction lui permettant de contrôler les réactions des muscles pour ajuster les impulsions qu'il leur envoie. Le projet nécessite donc l'intervention de spécialistes de disciplines très différentes, comme l'informatique, la micromécanique, les matériaux (alliages légers et matériaux composites), l'électronique et la médecine. Et toute cette complexité doit être invisible à l'usage: les appareils doivent fonctionner de manière très conviviale. Les trois appareils, d'une complexité croissante, vont être développés au fur et à mesure. Le premier d'entre eux, le MotionMaker, est un lit que l'on peut ajuster en fauteuil, doté de deux attelles de haute technologie. Le patient est couché ou assis, ses jambes sont fixées aux attelles et des impulsions stimulent les muscles, afin qu'ils effectuent des mouvements mimant ceux de la marche. L'appareil aura une double fonction. D'une part, l'immobilité à laquelle sont contraints les membres inférieurs des paraplégiques entraîne toute sorte de complications: atrophie musculaire, troubles circulatoires, urinaires, intestinaux... Un exercice régulier avec le MotionMaker permettrait de les limiter. D'autre art, "dans 80 % des cas, les personnes en fauteuil rouant n'ont pas une atteinte médullaire (c'est-à-dire de la moelle) complète", explique Roland Brodard, directeur de la Fondation suisse pour les cyberthèses. "Avec de la physiothérapie, 10 % de ces 80 % retrouvent la marche. Avec cet appareil, on peut espérer monter cette proportion à 20 ou 30 %." Deuxième appareil: le WalkTrainer, qui devrait être réalisé vers la fin de 2004. Il reprendra les principes du MotionMaker. Mais l'appareil sera monté sur roulettes et le patient se tiendra debout. Il marchera donc réellement, en traînant l'appareil avec lui. "Il ne s'agit pas, à ce stade, de remplacer la chaise roulante, mais de permettre aux personnes paraplégiques de se lever et d'entraîner le schéma moteur de la marche", explique Carl Schmitt, ingénieur microtechnique du projet. Le WalkTrainer sera d'ailleurs destiné aux établissements médicaux de rééducation. Enfin, le troisième appareil, le WalkMaker, est prévu pour fin 2007. Il vise à permettre une marche autonome. Les deux attelles seront cette fois reliées à une ceinture fixée autour du bassin du patient. Elle contiendra une unité de commande. Le Walkmaker devrait permettre une marche acceptable dans un environnement facile, avec des obstacles de faible importance, comme un trottoir. Mais les participants au projet ne veulent pas éveiller trop d'espoirs: le Walktrainer ne pourra être utilisé que par une partie limitée des paraplégiques, peut-être 30 % tout au moins dans un premier temps. "Tout dépend du niveau de la lésion", explique Roland Brodard. Un prototype du premier appareil, le MotionMaker, a déjà été construit. Des tests cliniques ont validé son fonctionnement. Une nouvelle série de tests va maintenant contrôler sur des paraplégiques les résultats qu'il permet d'obtenir. Si tout se passe comme prévu, les chercheurs devraient fonder une start-up en mars 2004. Elle fabriquera et commercialisera l'appareil, sous licence de la Fondation suisse pour les cyberthèses. "Nous avons dans un premier temps envisagé de trouver un partenaire industriel", explique Roland Brodard. "Mais nous avons constaté qu'il n'y avait pas d'industrie susceptible d'entrer dans ce projet en Suisse romande. Or, nous tenons à ce que le retour économique se fasse en Suisse romande". Un financement entièrement privé Le projet, qui a démarré à fin 2000, devrait durer jusqu'à fin 2007. Son coût: 800'000 francs par an. Cette somme comprend le salaire des chercheurs de l'EPFL impliqués dans le projet, quatre personnes, dont deux à plein temps. La recherche est également secondée par les travaux d'étudiants. Le financement est assuré par la Fondation suisse pour les cyberthèses, elle-même financée par des organismes extérieurs. Plus gros contributeur, la Loterie romande fournit 90 % des fonds. La phase industrielle suppose un modèle de financement différent. La production du MotionMaker nécessitera un investissement de 8 à 10 millions, que la Fondation recherche actuellement. L'appareil devrait coûter aux alentours de 300'000 francs, formation à l'utilisation comprise. Mais une version utilisable à domicile et bien meilleur marché pourrait également être réalisée. La différence de prix entre les deux versions proviendra des économies d'échelle (la version domestique pourrait être produite en beaucoup plus grand nombre) et d'une plus grande simplification (si l'appareil est toujours utilisé par la même personne, il n'a pas besoin de dispositifs de réglage coûteux). Quant au WalkMaker, il est destiné aux personnes privées. La Fondation veut parvenir à le produire aux alentours de 50'000 francs, prix en dessus duquel sa commercialisation serait difficile. Pierre Cormon, Entreprise romande, 21.11.2003 L'EPFL met au point une technique permettant d'enduire les prothèses de la hanche de médicaments, afin de prolonger leur durée de vie L'os qui soutient une prothèse de la hanche a tendance à se résorber. Une recherche vise à prévenir cette perte en enduisant la prothèse d'un médicament qui se diffuserait peu à peu. Côté pile, la pose de prothèses de la hanche est devenue une opération de routine (les Hôpitaux universitaires de Genève en pratiquent environ trois cents par année). Côté face, elle pose encore des problèmes non résolus. Ainsi, on observe que l'os qui supporte la prothèse a tendance à se résorber, particulièrement dans les mois qui suivent l'opération. Dans certains cas, au bout d'une quinzaine d'années, la prothèse n'est plus assez soutenue et se met à bouger, causant des douleurs au patient. Il faut alors opérer et la remplacer. Pour lutter contre ce phénomène, on a récemment proposé d administrer des médicaments par voie orale, qui permettent de résorber la perte osseuse. Ils agissent sur tout le squelette, sans cibler particulièrement l'os qui soutient la prothèse. Une nouvelle approche est développée à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Elle consiste à appliquer le médicament (du bisphosphonate) directement sur la prothèse et à en faire, selon le terme technique, un implant orthopédique actif. Le médicament se diffuserait petit à petit dans un périmètre très réduit, afin de diminuer la perte osseuse. On espère ainsi pouvoir prolonger d'environ 25 % la durée d'utilisation des prothèses. Cette approche, combinant implant et médicament, est déjà utilisée avec succès pour les implants cardiaques. Une modélisation informatique, ainsi que des essais in vitro sur des cellules et in vivo sur des souris ont démontré la pertinence de l'approche. Ils ont permis de calculer la dose optimale à poser sur la prothèse - environ mille fois plus basse que la dose journalière que l'on absorbe par voie orale. Des essais sur les patients sont envisageables dans les deux ans. Dans le meilleur des cas, la production des implants orthopédiques actifs pourrait débuter dans cinq ans environ. "Mais nous devons encore trouver le partenaire industriel", remarque le docteur Dominique Pioletti, qui dirige la recherche. Aucun fabricant suisse de prothèses ne s'est encore engagé. Il faut dire que le projet constituerait un changement important pour eux: compétents en matière de métallurgie, ils devraient y intégrer un aspect biologique, domaine qui leur est moins familier. Et la mise en oeuvre du projet risque de s'avérer complexe. Une entreprise américaine a en effet déposé un brevet protégeant l'idée d'appliquer des médicaments sur les prothèses de la hanche. Se lancer dans la production nécessiterait un accord entre cette entreprise, le producteur de prothèses, l'entreprise pharmaceutique qui fournirait le médicament et l'EPFL, détentrice d'une partie des propriétés intellectuelles. Mais Dominique Pioletti croit au potentiel du marché. Par rapport à une prothèse traditionnelle (environ 1'500 francs), il vise un prix supérieur d'environ 10 % à la production. La prothèse elle-même ne constituant qu'une partie des coûts - l'opération coûte environ 15'000 francs - le renchérissement final serait d'à peine 1 %, selon les calculs de Dominique Pioletti. Et il pourrait permettre d'économiser à terme des opérations de remplacement. Les implants orthopédiques actifs ne viseraient qu'un segment limité du marché - les patients jeunes, qui doivent vivre longtemps avec une prothèse. Actuellement, ils sont relativement peu nombreux. "Etant donné les problèmes que posent les prothèses, les chirurgiens repoussent l'opération au maximum", affirme Dominique Pioletti. Si une solution plus durable était mise sur le marché, l'opération pourrait être réalisée plus tôt et la mande pourrait croître. Pierre Cormon, Entreprise Romande, 02.04.2004 |
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