Benedikt Weibel: "Les CFF seront prêts à temps" ... "Swissmetro est trop fantaisite. Oublions-le." Benedikt Weibel (58 ans), président de la direction des CFF, évoque le changement d'horaire historique de Rail 2000, les NLFA, l'avenir des chemins de fer suisses, le vandalisme et Swissmetro. Touring: le 12 décembre prochain, le changement d'horaire coïncidera avec l'entrée en vigueur de Rail 2000 et son nouveau tronçon Mattstetten-Rothrist. Êtes-vous dans les temps? Benedikt Welbel: oui, mais il reste encore quelques réglages à effectuer, par exemple en ce qui concerne la construction et le rééquipement du matériel roulant. Mais je suis confiant: nous serons prêts. Quelles retombées les usagers peuvent-ils escompter de ces réalisations qui ont coûté des milliards? La durée de certains trajets sera considérablement réduite. Lors d'une récente visite à Brugg (AG), j'ai annoncé à mes auditeurs que leur trajet jusqu'à Berne durera à l'avenir 56 minutes contre 73 minutes aujourd'hui, soit un gain de temps de 25 %. De Brugg à Coire, il faudra compter 1 heure et 50 minutes au lieu de 2 heures 10. Nous aurons à partir de Brugg un horaire cadencé à la demi-heure en direction de Bâle et de Soleure. Un autre exemple: la durée du trajet de Berne à Coire diminue de 26 minutes. L'importante section Berne-Bâle, qui était plutôt mal desservie jusqu'ici, bénéficie d'améliorations substantielles: au lieu de 68 minutes, on ne voyagera plus que 55 minutes. Rail 2000 augmente sensiblement le nombre de correspondances dans toute la Suisse et accélère les liaisons, notamment grâce à 45 km de rails supplémentaires au coeur du réseau. En matière de ponctualité, les CFF n'ont pas à craindre une comparaison internationale et, pourtant, de nombreux passagers se plaignent des retards de plus en plus fréquents. Ces plaintes augmenteront-elles avec l'entrée en service de Rail 2000? Ce n'est pas juste de dire que les retards sont de plus en plus fréquents. Il est vrai que nous avons eu deux très mauvais mois en octobre et novembre 2003, notamment dans la région de Zurich. Mais ensuite, les réclamations ont rapidement diminué. Depuis décembre, nous avons réussi à nous établir à un bon niveau, si bien que les réclamations ont encore reculé. D'une manière générale, notre ponctualité est exemplaire. La mise en service de Rail 2000 est une tâche énorme, surtout en raison de la densité de notre réseau et de l'augmentation de l'offre de 12 % que nous réalisons. Il y aura sans doute quelques frictions au début jusqu'à ce que le nouvel horaire soit rodé. Nous en appelons à la compréhension de notre clientèle. Vous avez publiquement critiqué la mauvaise qualité des locomotives. La cause en serait l'industrie... Il ne sert pas à grand-chose de se lamenter sur cette industrie qui n'existe d'ailleurs presque plus en Suisse. La RE 460 était sans doute la locomotive la plus chère jamais achetée dans le monde. Il n'est donc pas normal qu'après dix ans nous soyons déjà obligés de faire des révisions coûteuses. Quand on sait que ces locomotives sont amorties sur 25 ans, cette expérience est amère. La première étape de Rail 2000 est un jalon important pour les CFF et même une nouvelle chance pour le chemin de fer. L'enthousiasme que suscite ce nouveau départ n'est-il pas terni par la hausse des tarifs, parfois importante, que vous avez annoncée? Je tiens d'abord à relever que cette hausse ne concerne pas seulement les CFF, mais toutes les entreprises de transport suisses. je n'ai aucune peine à justifier ces augmentations tarifaires. Compte tenu du développement de l'offre liée à Rail 2000, elles sont d'ailleurs plutôt modestes. La seconde étape de Rail 2000 implique de gros projets. Lesquels pourront se réaliser, compte tenu des problèmes financiers de la Confédération? L'horizon de la deuxième étape de Rail 2000 se situe en 2020. C'est encore loin. Ce projet n'est certainement pas prioritaire. La Confédération réexamine tous les projets qui ne sont pas en cours de réalisation. Cela me paraît juste dans la situation financière que nous connaissons. Les problèmes liés aux Nouvelles lignes ferroviaires alpines, les NLFA, sont largement connus. Comment les appréciez-vous du point de vue des CFF? Je constate simplement que les coûts du projet ont été estimés sérieusement et que de grosses réserves ont été prévues pour affronter les inévitables difficultés géologiques rencontrées au cours des travaux. Or, ces réserves ont été mises à contribution pour financer des changements qui ont été apportés au projet pour des motifs extérieurs à celui-ci. Ces motifs sont d'ailleurs compréhensibles compte tenu de différents événements. je rappelle les incendies qui ont eu lieu dans plusieurs tunnels comme ceux du Mont-Blanc, du St-Gothard et des Tauern ou encore dans le tunnel du chemin de fer de montagne de Kaprun. L'opinion publique y a été sensible... Absolument. Il est clair que ces accidents ont influencé le débat et les opinions sur la sécurité des ouvrages. je suis également d'avis qu'il ne faut plus construire aujourd'hui un tunnel ferroviaire à deux voies de 15 km de long. Pour des raisons de sécurité, il faut préférer des tunnels à une seule voie. La situation doit être jugée différemment en 2004 qu'auparavant. Mais il faut tout de même relativiser: si l'on considère la globalité du projet NLFA, la situation n'est pas dramatique et en aucune manière comparable à celle du tunnel de la Furka dont le prix final a triplé par rapport au devis. Vous entretenez de bonnes relations avec les chemins de fer italiens. Bon nombre d'entre nous pensent que les deux tunnels NLFA ne servent à pas grand-chose parce que l'Italie ne fait rien pour réceptionner le trafic de son côté. C'est une opinion qui me paraît un peu simpliste. Le nouveau tunnel du Loetschberg n'apportera pas de grands changements dans le trafic de marchandises, mais cela n'est pas uniquement dû à l'Italie. Nous avons aussi des problèmes chez nous. L'accès au Loetschberg passe par deux espaces RER, ceux de Bâle et de Berne. Le St-Gothard a une situation géographiquement plus avantageuse dans ce cadre-là. Je suis donc optimiste, car je ne crois pas que le problème principal se situera à ce niveau. L'un des principaux objectifs de la politique suisse des transports est de transférer le trafic des marchandises de la route au rail. Nos membres automobilistes en profiteraient aussi. Mais jusqu'ici les effets de cette politique de transfert sont limités. Qu'en pensez-vous? C'est vrai. Les chemins de fer utilisent toujours l'infrastructure de 1882. Côté route, en revanche, on a créé la liaison par le col du St-Gothard, puis le tunnel du même nom. Le fait suivant est curieusement peu connu du large public: nous avons certes perdu des parts de marché, mais nous assurons toujours 63 % des transports de marchandises par le rail. C'est sans doute un record absolu. Imaginez que ces transports se fassent également par la route... Je suis persuadé que la concurrence encouragée par l'Union européenne a poussé les entreprises cargo et nous-mêmes à améliorer constamment la qualité de nos prestations. Face aux conditions topographiques qui nous sont imposées, nous n'avons pas d'alternative par rapport à la politique du transfert de la route au rail. Un petit pays comme la Suisse peut-il s'offrir le luxe d'avoir deux compagnies ferroviaires - en l'occurrence, les CFF et le BLS - qui se concurrencent dans le trafic international de marchandises et qui s'allient avec des partenaires différents? Je me limiterai à constater ceci: cela n'arriverait certainement pas dans un autre pays. Les CFF seront-ils les seuls à survivre dans le secteur des chemins de fer à écartement normal? Cette discussion est en cours et il semble probable que deux autres entreprises subsisteront à côté des CFF Mais ce domaine aussi fait l'objet d'un processus de libéralisation. L'idée de la commission de l'Union européenne est de mettre au concours des paquets complets de transports régionaux. Quand ce marché sera ouvert, les CFF seront concurrencés par de grandes entreprises privées étrangères qui pourront soumissionner en Suisse. Je ne crois pas qu'à long terme les CFF continueront d'assumer tout le trafic régional. Comme d'autres institutions, les CFF se battent contre certains phénomènes de société comme le vandalisme et la violence. L'absence de contrôleurs dans les trains est fréquemment critiquée à ce sujet. Vous réagissez avec des patrouilles nocturnes et des surveillances vidéo. Est-ce suffisant? L'accompagnement systématique et complet de tous les trains régionaux serait excessivement cher et finalement peu utile. Ce problème ne se pose en effet pas dans un train RER du matin avec un fort taux d'occupation. Je crois donc que la solution que nous avons adoptée avec l'union tarifaire de Zurich est exemplaire. Quelle est cette solution? Le soir, quand la situation devient plus problématique, nous engageons non pas le dispositif d'accompagnement traditionnel dans les trains, mais du personnel spécialement formé intervenant par patrouilles de deux personnes. En cas de besoin, la police du chemin de fer, qui est très mobile, vient en renfort. Le système comprend également la surveillance vidéo et des bornes d'appel au secours. Nous faisons aussi de la prévention dans les écoles et à bord d'un train spécial. Il est également très important d'agir contre les resquilleurs sur certaines lignes. Face à la hausse de la criminalité chez les jeunes, cette action est indispensable. Un problème qui paraît secondaire: la fumée dans les trains. Verra-t-on des trains où la fumée est complètement interdite? Ce problème n'est pas si secondaire que cela, parce qu'il polarise énormément. Cette discussion, qui porte notamment sur la fumée passive, ne concerne pas seulement le train. Je suis persuadé qu'un jour, la fumée sera interdite dans tous les trains en Europe. Mais nous ne ferons pas cavalier seul, nous agirons de concert avec les autres. Dans le trafic régional, nous allons progressivement vers cette solution. A bord des avions, même des longs courriers, l'interdiction de fumer est parfaitement acceptée aujourd'hui. Après une brève accalmie, les discussions sur Swissmetro, un train rapide souterrain, ont repris, en Suisse romande notamment. Quel est la position du patron des CFF? C'est trop fantaisiste, il faut l'oublier. Voyez ce qui se passe avec le Transrapid allemand à Shanghai... Le personnel des CFF est un peu inquiet devant son avenir. A quelles surprises doit-il se préparer? Je suis d'avis que les cheminots n'ont pas à se préparer à des surprises. Je leur explique depuis des années l'avenir qui nous attend. Heinz W. Müller, Touring, 01.04.2004 |
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