Développement durable

Un cinquième d'énergie renouvelable en 2020, est-ce concevable en Suisse? Poussés par les ambitions du programme du Conseil fédéral SuisseEnergie lancé en 2001, les spécialistes du solaire , de la géothermie, de la biomasse, des petites centrales électriques et du vent font et refont leurs calculs. L'objectif est atteignable, peut-être un peu haut. Il exige avant tout une politique énergétique nationale très cohérente.

Energie suisse en 2020 : Le renouvelable entre espoirs et réalisme

Premier constat la Suisse s'était placée en tête des nations pour développer l'énergie solaire dans les années nonante, puis l'effort s'est relâché. "Le potentiel reste important puisqu'on pourrait couvrir le tiers des besoins du pays en chaleur et électricité", analyse Marc Tillmanns, secrétaire romand de Swissolar. Les données de base physiques ne changent guère: une heure d'ensoleillement sur la planète équivaut à toute l'énergie consommée sur la Terre en une année. Au ras du sol, les choses sont un peu différentes.

Le soleil au courant
Photovoltaïque ou thermique, le solaire vit à l'heure de la baisse des coûts. Mais, dans notre pays, l'électricité produite de cette manière ne représente que 0,025 % de l'énergie électrique, la chaleur tout juste 0,11 %. Ces sources énergétiques progressent plus rapidement en Europe. A sa cadence actuelle d'équipement, la Suisse aura atteint 50 % du niveau autrichien d'aujourd'hui... en 2030. Pourtant, la Suisse est innovante dans la production de cellules photovoltaïques souples. Des entreprises telles que Studer, Ernst Schweizer Metallbau, Soltop et d'autres percent sur les marchés allemand et espagnol et beaucoup de PME pourraient travailler sur un plan local.
"En comparaison des autres pays, la Confédération helvétique est un îlot où les énergies fossiles restent bon marché", indique M. Tillmanns. Le développement du solaire passe par un meilleur financement des installations sur une plus longue durée (par exemple vingt ans), un tarif incitateur de rachat de courant et des permis de construire facilités. Des calculs précis sont nécessaires. Il faut tenir compte de l'énergie nécessaire pour fabriquer l'installation et de de la durée de vie de celle-ci. Mais lorsque Berne envisage 5 % des besoins couverts en 2020 par le soleil, les milieux spécialisés mettent la barre possible à 30 %...

C'est du vent
D'autres regards se tournent vers le vent. La société Juvent SA exploite dans le Jura bernois la seule grande éolienne commerciale du pays: 9 millions de kWh produits par an, sans aucune subvention. Depuis 1996, l'installation s'est adaptée progressivement à la demande. "D'après notre expérience, l'exploitation éolienne en Suisse sera limitée, peu de sites sont appropriés", juge Martin Pfisterer, président de la société. "Doubler ou tripler la production actuelle d'ici à 2020 serait déjà très satisfaisant. Pour autant que les milieux politiques ne décident de subventions qui entraînent des distorsions de concurrence". Dès que l'on parle d'éoliennes, communes et cantons sortent leurs plans de zone et les voisins sont souvent plus qu'hésitants; la législation en matière d'environnement et de paysage est très tatillonne. "La Suisse n'appartient pas aux pays traditionnellement éoliens comme le Danemark, l'Allemagne ou la Hollande".

Le champ du torrent
Au sol, la biomasse est aussi dans les esprits. Produire du carburant avec du blé, du colza ou une autre plante, c'est possible. A l'EPFL, le spécialiste Edgard Gnansounou reste toutefois prudent: "Si l'on veut couvrir 5 % des besoins finaux en énergie avec la biomasse en 2020, il convient de mieux promouvoir les technologies dont la maturité commerciale est déjà avérée, intensifier la recherche et... importer des énergies renouvelables à faible coût issues de la biomasse. Mais je me demande si on peut demander à l'agriculture cette réorientation au lieu de l'alimentation humaine".
Faut-il alors se concentrer sur le torrent qui longe les champs? Selon la définition officielle, la petite hydraulique concerne des installations de moins de 10 MW.
Elles étaient 7'000 en 1910 et à peine 1'000 dans les années nonante. La tendance s'est inversée avec le programme Energie 2000. En particulier, les mini-centrales très locales de 1 MW ont le vent en poupe, notamment sous l'impulsion du Laboratoire de mini-hydraulique de Montcherand, en collaboration avec l'OFEN. Pour le responsable Raymond Chenal, le défi est triple. Premièrement, ces technologies sont assez simples et donc accessibles à de nombreuses PME. Ensuite, la demande est forte au niveau mondial, donc il y a une carte helvétique à jouer. Enfin, la politique des taris doit être étudiée avec soin: "Les installations à faible chute ou faible puissance sont écartées et elles restent tristement à l'abandon".

Inventer l'eau chaude
Passons au sous-sol. "Notre Terre est une chaudière, 99 % de sa masse dépasse les 1'000 degrés", s'enthousiasme l'ingénieur jules Wilheim. Les Suisses savent déjà exploiter les sources naturelles d'eau chaude. Par exemple, une cinquantaine de tunnels helvétiques fournissent de l'eau chaude pour le chauffage, notamment le tunnel de base du Lötschberg et celui de la Furka. Deux cents bâtiments valaisans sont ainsi raccordés à cet ouvrage.
Beaucoup d'espoirs sont placés dans la technologie SGS, pour Systèmes Géothermiques Stimulés. L'eau injectée à grande profondeur s'infiltre dans des roches sèches et chaudes, formant ainsi une sorte de réservoir. La production d'électricité devient également possible, grâce à un appareillage sophistiqué. Un projet pilote européen doit être crus en service en 2005-2006. Bâle fera la même expérience dès 2008, avec 20 GWh fournis en électricité et 90 GWh pour la chaleur. A Genève, il faudra attendre en principe 2012 pour qu'une installation similaire soit mise en service; les travaux viennent de débuter sur la presqu'île d'Aïre. Dans ce cas le réservoir se situera à quelque 6'000 mètres de profondeur.

Enjeux planétaire
Au-delà des aspects techniques et économiques, l'intérêt pour les énergies renouvelables met en évidence d'autres enjeux: "Seul le développement technologique et la créativité permettront dans le futur d'aborder les besoins en énergie en évitant des conflits meurtriers sur la planète", analyse Serge Beck, conseiller national et président de la Fédération romande pour l'énergie (FRE).

Entreprise Romande, Maurice Satineau, 10 juin 2005