Lettre ouverte à Benedikt Weibel, directeur des CFF par Jacques Neirynck, écrivain et professeur Cher monsieur, "Ce n’est pas sans un certain émoi que j’ose m’adresser directement à un personnage aussi puissant que vous, bien plus que votre ministre de tutelle, mon ami Moritz Leuenberger, dont le salaire ne représente qu’une fraction du vôtre. C’est que vous travaillez dans le concret. Grâce à vous des millions de passagers transitent par les CFF, dont l’éloge n'est plus à faire. Ponctualité des trains, amabilité du personnel, propreté des installations. Si des violences sont exercées de temps à autre, ce n'est rien, comparé à la France voisine. Lorsque je pénètre dans vos installations, je m'y détends, m'y repose, m'y distrais. Je corrige l'heure de ma montre au moment où le train démarre. le me laisse materner. Tant et si bien que ma vigilance naturelle s'émousse et que j'y ai été deux fois délesté de mon portefeuille. Ce qui ne m'est jamais arrivé en France, tant je suis sur mes gardes. Les CFF sont tellement sûrs que même les voleurs y sont à l'aise. Je représente donc le client moyen des CFF, content des services utilisés. Vous assurez le train-train de mon transport helvétique. Vous avez atteint la perfection d'une technique inventée au XIXe siècle. et vous y êtes resté. Ainsi, de Genève-Aéroport jusqu'à Saint-Gall, cela prend 4 heures 32, alors que de Genève à Marseille, il n'y a que 4 heures 17. Avec la mise en service de la nouvelle voie Berne-Zurich, on gagnera un quart d'heure après avoir dépensé trois ou quatre milliards. Au mieux nos convois atteindront des vitesses de pointe de 160 à 200 km/h, tandis que les lignes à grande vitesse européennes monteront à 320 ou 350 km/h. Pas question de créer une ligne à grande vitesse digne de ce nom sur le territoire suisse. L'Union européenne enregistre cette démission et planifie son réseau en contournant la Suisse. Il y aura ainsi un Paris-Vienne passant par Strasbourg et Munich, un Berlin-Naples traversant les Alpes au Brenner, un Trieste-Lyon passant par Turin et le Mont-Cenis. Où est le temps du Simplon et du Saint-Gothard canalisant tous les trafics du Nord au Sud, de l'Ouest à l'Est? Le tunnel de base du Gothard, quand il sera achevé en 2015 ou 2020, servira au trafic marchandises vers l'Italie. La Suisse a perdu sa position de plaque tournante de l'Europe. Un ingénieur de vos services, Rodolphe Nieth, avait proposé, voici deux ou trois décennies, de se lancer dans le projet Swissmetro, en fonction d'un constat imparable. Le territoire suisse est tellement accidenté qu'il n'est pas possible d'y construire une ligne TGV, sinon en enfilant une coûteuse séquence de tunnels et de viaducs. L'idée est de se situer en sous-sol d'un bout à l'autre du trajet, de faire le vide dans ce tunnel et de s'y propulser par une combinaison de moteur linéaire et de suspension magnétique à des vitesses de l'ordre de 600 km/h. La Suisse aurait inventé une nouvelle façon de se déplacer, plus rapide que les TGV, concurrente de l'avion, économe en énergie et respectueuse de l'environnement. Cette idée a tout simplement révulsé les CFF. Il aurait fallu engager des ingénieurs versés dans ces nouvelles techniques. Ils auraient conquis le pouvoir. Ils l'auraient enlevé aux gestionnaires du train-train dont vous êtes aujourd'hui le chef. Votre but n'a jamais été d'aller vite, mais d'arriver à temps et donc de rouler lentement pour ne pas risquer un retard. On n'a jamais entendu parler d'un escargot qui aurait dérapé dans les tournants. On avait déjà découvert que la Suisse était incapable de gérer une compagnie internationale de transport aérien. Admettons maintenant qu'elle n'a plus d'ambition en matière ferroviaire. L'Hebdo, Jacques Neirynck, septembre 2004 |
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