Une nouvelle génération de fibres optiques est mise au point à Boudry

Imaginez un dentiste qui traite vos caries à l'aide d'un rayon laser, sans avoir besoin de vous anesthésier et sans provoquer de douleur. Des machines-outils pour découper au laser beaucoup plus maniables que celles que l'on utilise aujourd'hui. Des appareils qui permettent d'enlever le tatouage dont vous vous êtes lassé. Toutes ces applications requièrent des fibres optiques d'une nouvelle génération. Ce sont les fibres photoniques, que l'entreprise Daetwyler est en train de mettre au point dans son usine de Boudry, sur le littoral neuchâtelois. Si elle n'est pas la seule à mener ce type de recherche, elle compte sur son procédé de fabrication unique pour s'imposer dans cette niche.

Les fibres optiques traditionnelles sont parfaitement adaptées aux télécommunications. Les progrès réalisés depuis les années 70 ont permis de les produire de manière massive à faible coût, tout en améliorant notablement leurs capacités: aujourd'hui, une seule fibre peut transporter simultanément vingt mille conversations téléphoniques. Elles connaissent cependant des limites qui les empêchent d'être utilisées dans d'autres domaines. Premièrement, elles ne peuvent convoyer que certaines longueurs d’onde: celles qui correspondent à la lumière visible et le proche infrarouge. Les infrarouges lointains (dont les ondes radios) et les ultraviolets, par exemple, ne peuvent pas y circuler. Deuxièmement, si le rayon qui circule a une énergie trop puissante, elles fondent et se cassent. Ces problèmes limitent les usages de la fibre optique. Or, bien des secteurs seraient ravis de disposer d’une technique aussi pratique et souple pour transporter des ondes d’une longueur et d’une puissance différentes.

Quatre en Europe
Ce défi tombe à pic pour Daetwyler. L'éclatement de la bulle technologique, au début des années 2000, a fait de gros dégâts chez les fabricants de fibre optique. De la douzaine de constructeurs qui existaient alors en Europe, il ne reste plus que quatre. L'usine de Boudry fabrique 500 000 kilomètres de fibres par année, ce qui en fait un acteur de petite taille face à la demi-douzaine de gros producteurs américains et japonais, qui en fabriquent chacun quelque 20 millions de kilomètres. Si l'on demande à son directeur Frédéric Sandoz comment l'usine de Boudry a pu subsister dans ce contexte, il répond que c'est grâce à la qualité de ses produits et parce qu'elle a développé un procédé de fabrication qui lui permet de garder des coûts concurrentiels. Mais les concurrents progressent et les prix ne cessent de baisser (1,5 centime le mètre actuellement, contre cinq ou six francs à la fin des années 70, pour des performances alors nettement inférieures). «A partir du moment où l'on entre dans une phase où seul le volume compte, produire en Suisse n'est plus très intéressant», remarque Frédéric Sandoz. «Mieux vaut se concentrer sur des produits en début de vie».

Précision extrême
Les nouvelles générations de fibres optiques constituent donc une niche idéale. D'autant plus que le procédé de fabrication utilisé à Boudry, unique au monde, convient bien à leur développement, affirme Frédéric Sandoz. Les difficultés à surmonter pour le mener à bien sont cependant considérables. On doit percer la fibre d'un ensemble de tunnels creux, avec une précision de quelques dizaines de nanomètres (millionièmes de millimètres). De plus, on a besoin d'une matière première d'une extrême pureté, telle que l'on n'en trouve pas sur le marché: une seule goutte d'eau suffit à polluer 2000 tonnes de verre, soit une quantité suffisante pour réaliser une fibre couvrant la distance entre la Terre et le Soleil. Enfin, chaque application nécessite une fibre aux caractéristiques différentes, dont la détermination nécessite des calculs extrêmement complexes. C'est l'Université de Berne qui s'en charge, avec le soutien du CTI (agence de la Confédération pour la promotion de l'innovation).

Daetwyler s'estime cependant en voie de résoudre ces problèmes. Une première bobine devrait être produite à l'intention de deux clients-tests, dans le courant du mois de mars. Il s'agira de fibres (photoniques dites à coeur de silice lire ci-contre). Si elles supportent des énergies beaucoup plus élevées que les fibres traditionnelles, elles restent cependant limitées au transport des mêmes longueurs d'ondes. L'entreprise espère pouvoir les commercialiser dès 2008. Elles pourraient servir à des applications telles que des lasers dermatologiques permettant d'enlever les tatouages ou les rougeurs de peau, des appareils ophtalmologiques, l'usinage mécanique, le câblage de bâtiments ou l'éclairage le précision pour des microscopes.

Nouvelle génération
Le développement d’une autre génération de fibres photoniques, dites à cœur creux, pourrait demander encore cinq à dix ans. Elles permettront de transporter toutes les longueurs d’ondes, à la puissance que l’on veut. Ces fibres pourraient être utilisées dans d’autres machines d’usinage mécanique ainsi que dans des applications médicales. C’est notamment grâce à elles que les dentistes pourraient traiter les caries de leurs patients sans douleur.