Le deux-roues du futur

Véritable Géo Trouvetou helvétique, le Neuchâtelois d'adoption Pierre Eberli vient de lancer sur le marché suisse le Mobilec, un cyclomoteur électrique de sa conception.

Coiffé de son casque intégral, le longiligne Pierre Eberli ressemble un peu à un Don Quichotte moderne. En revanche, le Mobilec, qu'il enfourche justement devant nous, n'a vraiment rien à voir avec Rossinante, la monture de l'antihéros de Cervantès. Etroit, maniable et élégant, taillé pour se faufiler dans la circulation et conquérir le marché suisse, ce nouveau cyclomoteur électrique – capable des mêmes performances qu'un vélomoteur classique (lire encadré) – démarre sans rechigner et surtout sans un bruit ni une émanation gazeuse...

Ce démarrage en douceur est d'ailleurs parfaitement à l'image de l'enfantement dans la lenteur de la “mob“ qu'a conçue ce Neuchâtelois d'adoption. “Tout a commencé au début des années 80 par une rencontre: j'étais à Genève, je m'apprêtais à traverser une route quand j'ai remarqué un véhicule pas comme les autres.“ Il apprend par son conducteur qu'il s'agit d'un Solo electra, une moto de poche électrique construite en série en Allemagne. “Son propriétaire n'en était pas très content â cause de la batterie.“ Il rachète l'engin 100 francs et le ramène chez lui à Colombier.

Curieux et bricoleur, Pierre Eberli ausculte ce deux-roues, puis l'améliore en le dotant d'une batterie au plomb qui ne nécessite aucun entretien et d'une commande moteur électromécanique. Une de ses connaissances, qui deviendra par la suite son associé, l'incite à réaliser un prototype. L'Office fédéral de l'énergie, à qui il soumet l'idée, lui octroie 80 000 francs pour que son rêve devienne réalité. En 1992, il présente son bébé, en première mondiale, à l'occasion d'un congrès international pour la préservation de l'environnement qui se déroule en Thaïlande. “J'ai même pu le montrer à la reine et à sa fille“, précise-t-il en désignant une photo accrochée au mur qui immortalise l'événement.

Dans son atelier, cet ingénieur en électrotechnique continue de peaufiner encore et encore sa drôle de machine. “C'était en quelque sorte un véhicule cassette, on pouvait facilement changer les composants, alors j'ai fait des essais avec plein de moteurs, de batteries, de commandes.“ Parallèlement, il se lance à la recherche de sponsors privés pour démarrer la production d'une petite série de Mobilec, ainsi qu'à la chasse aux sous-traitants pour les fabriquer. “J'ai demandé des offres en Suisse et en France, mais les différences de prix avec l'Asie étaient phénoménales.“ Un ballon d'essai avec des Malaisiens se dégonfle. Il se tourne alors vers la Chine...

L'entrepreneur neuchâtelois effectue un premier voyage – officiel celui-là – dans l'Empire du Milieu. “J'ai visité plusieurs entreprises avec un guide, mais aucune ne convenait.“ Un ingénieur de là-bas vient un soir frapper à sa porte. “Il était séduit par le projet.“ Ce dernier lui propose une alternative intéressante qui ne donnera rien.

Finalement, notre Géo Trouvetou revient pour un deuxième séjour du côté du fleuve Jaune. “Nous avons acheté une vieille camionnette et loué une grande chambre dans une ferme. J'ai vécu six semaines avec lui comme un Chinois.“

Résultat: quinze véhicules-tests assemblés. “Trois sont restés sur place et les autres, je les ai distribués à des utilisateurs pour voir s'il y avait encore quelques défauts à gommer.“

On est en 2002 et dix ans déjà se sont écoulés depuis que le Mobilec a fait sa première apparition publique dans l’ex-royaume du Siam. Mais heureusement, durant le lustre qui suit, la situation se décante : le deux-roues de Pierre Eberli passe brillamment les examens d’homologation helvétiques ; un mécène, qui préfère garder l’anonymat, accepte d’injecter de l’argent dans l’aventure ; et un accord est passé avec un firme de la patrie de Mao et de Confucius pour façonner et pré-assembler les pièces. “Pour le montage final, j’ai trouvé un partenariat en Suisse avec un grand atelier protégé pour personnes handicapées situé à Zuchwil (SO).“ Tous les feux sont au vert et la fabrication d’une modeste série de cent exemplaires démarre.

“J’étais persuadé que l’idée était bonne, mais je ne savais toujours pas si un vélomoteur de ce type, vendu à un prix concurrentiel, avait sa place sur le marché.“ D’autant que le boguet traditionnel ne fait plus vraiment recette…A la mi-février de cette année, lui et ses associés organisent une conférence de presse pour faire connaître leur produit. “Ca a provoqué une avalanche de téléphones, de fax et de mails“.

Quinze jours plus tard, l’ingénieur expose deux de ses modèles à Zurich, dans le cadre de Swiss-Moto 08. “Des milliers de personnes nous ont contactés, nous sommes dépassés par la demande, c’est fantastique!“

Harassé, “au bord de la crise de nerfs“, mais heureux, Pierre Eberli, qui n’a encore pas gagné le moindre sou avec ce projet qu’il porte depuis plus d’un quart de siècle, sait maintenant que “le cyclomoteur électrique comble un manque“ et il espère donc convaincre des investisseurs privés pour que roule enfin son affaire et son ….Mobilec.

Alain Portner - Migros Magazine - 10 mars 2008

www.mobilec.ch