Sommes-nous vraiment libres ? Les spécialistes du cerveau s’interrogent

Sommes-nous libres? Depuis quelques années, le débat n'est plus l'apanage des philosophes et des religieux. Les scientifiques s'y intéressent de très près. L'un des papes de l'étude du cerveau humain, Michael Gazzaniga, a donné une leçon publique sur le sujet lundi 18 février, à l'occasion de l'inauguration du Centre interfacultaire de neuroscience de l'Université de Genève (lire ci-dessous).

Michael Gazzaniga fait partie d'un groupe de réflexion réunissant neurologues, juristes et psychologues, qui examine l'implication des dernières découvertes de la science sur les principes qui sous-tendent la justice américaine. Celle-ci suppose que, pour être coupable d’un crime, une personne doit être responsable, et donc avoir agi de son plein gré. Une personne incapable de discernement ne peut pas être tenue responsable de ses actes.

Conscience et choix

Mais les personnes capables de discernement sont-elles véritablement libres ? Les techniques actuelles permettent d’observer ce qui se passe dans le cerveau lors d’une prise de décision. Celle-ci est effectuée un peu avant qu’on en ait conscience. Contrairement à ce que nous croyons, ce n’est pas notre conscience qui prend les décisions. Mauvaise nouvelle pour la conception traditionnelle de la liberté.

D'autres études viennent confirmer le fait que les mécanismes cognitifs et les processus de décision sont très largement déterminés. “Nous nous sentons libres, mais le cerveau fonctionne de manière automatique“, relève Michael Gazzaniga. Ce qui pose un gros problème. Lors d une expérience, on a fait lire à certains participants un texte qui affirme que nos choix sont déterminés et à d'autres un texte qui affirme que nous sommes totalement libres de nos actes. Les participants ont ensuite joué à un jeu dans lequel il était facile de tricher: ceux qui avaient lu le texte sur la détermination l'ont fait massivement, alors que ceux qui avaient lu l'autre texte ont joué de manière parfaitement honnête. Bref, la question de la liberté n'est pas qu'une lubie de philosophes: elle a une utilité sociale évidente.

Déterminisme contre contrainte

Remarquer que le cerveau fonctionne selon des mécanismes déterminés ne suffit cependant pas à épuiser la question. Dans son dernier livre, Michael Gazzaniga écrit que si “les cerveaux sont déterminés, les gens sont libres“. Pour lui, une action libre n'est pas celle qui échappe au déterminisme et à la causalité, mais celle qui n'est pas le résultat d'une contrainte extérieure. Mais le débat quitte là le domaine de la science pour revenir là où il a longtemps trouvé son terrain de prédilection: la philosophie.

Pierre Cormon - Entreprise romande - 29.02.2008

La vidéo de la conférence (en anglais) peut être visionnée sur le site de l'Université de Genève:
http://www.unige.ch/presse/archives/2008/gazzaniga.html