Les brevets ne sont pas une assurance tous risques en temps de crise
La semaine dernière, un symposium a réuni à Lausanne plusieurs spécialistes de la propriété intellectuelle. L'occasion de s'intéresser à la valeur des brevets en temps de crise. Loin de représenter une assurance tous risques, ils ne sont pourtant pas dépourvus d'atouts. Ce sont des "armes" d'attaque plus que de défense.
Cela paraît un combat déséquilibré. Quarante millions de fausses montres suisses sont fabriquées chaque année dans le monde. Ce chiffre est largement supérieur au nombre de véritables, montres helvétiques produites dans le même laps de temps (26 millions)!
Et pourtant... Et pourtant seules quelques dizaines de personnes sont chargées de lutter contre la contrefaçon à la Fédération de l'industrie horlogère suisse (FH), l'association faitière de l'industrie horlogère suisse basée à Bienne. "Notre action peut sembler dérisoire, cependant elle est indispensable. Premièrement, elle permet, directement ou indirectement, de saisir un million de faux modèles. Nous menons des actions
concertées avec la police au Mexique ou en Russie par exemple. Ensuite, notre objectif premier n'est pas de stopper le trafic - une tâche totalement utopique -, mais de protéger l'image de nos entreprises membres en mettant la pression sur les faussaires et en communiquant au maximum avec le grand public et les autorités compétentes", s'empresse de préciser Jean-Daniel Pasche, président de la FH.
Une image de marque malmenée
L'atteinte à l'image de marque, voilà en effet un des effets secondaires de la contrefaçon cité par les spécialistes rassemblés la semaine dernière à Lausanne à l'occasion d'un symposium organisé par Interforum (lire l'encadré ci-dessous) et consacré à la propriété intellectuelle et, plus précisément, aux rôles des brevets en temps de crise.
En effet, ces derniers peuvent apparaître comme des assurances tous risques contre certaines conséquences des difficultés qui secouent actuellement l'économie mondiale. La hausse du nombre de contrefaçons fabriquées partout sur la planète fait partie de ces conséquences.
Les brevets seraient aussi une garantie absolue, une sorte de bouclier très solide et efficace contre les tentatives d'attaques de sociétés concurrentes qui souhaiteraient prendre de nouvelles parts de marché. Les brevets offriraient un monopole de facto... Vraiment? "Un titre de propriété intellectuelle n'est pas une police d'assurance (je veux être protégé..., protection passive), mais une arme juridique (je veux défendre mon territoire..., attitude proactive)", rectifie Jean-Alain Schulz, de Bugnion SA, une entreprise genevoise de conseils en propriété intellectuelle. "En cas de contrefaçon, il n'existe pas de dédommagements automatiques. Pour les obtenir, il faut mener un combat judiciaire long, coûteux et difficile. "
La crise financière favorise les activités liées à la propriété intellectuelle...
André Roland, de la société André Roland SA, elle aussi spécialisée dans le conseil en propriété intellectuelle, ne dit pas autre chose. Il va même plus loin dans son explication de l'aspect proactif de la "démarche brevet": "La crise financière n'a pas réduit l'activité dans le domaine de la propriété intellectuelle. Celle-ci est toujours très soute- nue. Pourquoi? Parce que par exemple les brevets augmentent l'attractivité et la valeur d'une entreprise. Les brevets n'assurent pas forcément un succès commercial - ils ne constituent d'ailleurs même pas une autorisation de commercialiser un produit -, mais placent idéalement une société sur un marché donné. " Jean-Alain Schulz renchérit: "Les brevets ne devraient pas être considérés comme autre chose que des moyens d'augmenter les revenus - par la mise en place de licences d'exploitation par exemple - ou la valeur de l'entreprise".
Suivant ce raisonnement qui affirme que la propriété intellectuelle renforce la position de son propriétaire, certaines multinationales (Microsoft, Coca-Cola) possèdent une capitalisation boursière basée à plus de 90% sur de l'intangible - le capital intellectuel de l'entreprise, dont la propriété intellectuelle fait partie tout comme le capital image.
... et la fabrication de contrefaçons
Vu les enjeux économiques,
on comprend dès lors l'empressement de la FH à sauvegarder les intérêts de ses membres. Surtout en ce moment. Car "oui, il y a plus de fraudes en période de crise économique. Les tentations sont plus grandes. La motivation des employés ou des concurrents pour commettre des irrégularités est plus grande. De multiples facteurs sont en cause: pression pour générer plus de revenus, pression pour conserver son poste, pression pour cacher des pertes substantielles, pression pour réduire les coûts, etc.", soutient Maxime Chrétien, directeur chez PricewaterhouseCoopers. "Et attention, parfois certaines contrefaçons de haut de gamme sont d'une qualité étonnante, très proche de la pièce originale", affirme sans rire Jean-Daniel Pasche.
Pourquoi les gouvernements des économies de marché favorisent-ils l'acquisition de ce monopole que constitue ta propriété intellectuelle?
C'est le spécialiste André Roland qui pose cette question. La réponse tient dans ce raisonnement en trois points:
- Postulat: le progrès technologique améliore la condition humaine.
- Comment favoriser le progrès technologique et en faire bénéficier la société dans son ensemble?
- Le système de la protection de la propriété intellectuelle a été conçu pour atteindre cet objectif.
Bientôt une révolution sur le marché de la capsule à café?
Les principaux brevets relatifs au marché de la capsule à café vont bientôt perdre leurs effets. Dès 2011, selon Eric Favre. L'inventeur de la capsule Nespresso est aujourd'hui à la tête de Monodor SA, société toujours spécialisée dans les capsules à café (clients: Migros ou Lavazza) et sise à Saint-Barthélemy (VD). Il explique que les brevets liés à son invention vont atteindre leur limite d'âge (20 ans). "Une révolution se prépare!".
Symposium "Plus de crédits pour les PME" lundi 23 février 2009 à Lausanne
"Plus de crédits pour les PME": la prochaine manifestation organisée par Interforum lundi 23 février de 14 h. à 19 h. 30 - à laquelle Entreprise romande s'est associé - parlera des conséquences de la crise financière pour le crédit d'entreprise des PME, du fonctionnement du système de rating bancaire et des possibilités de financement "alternatives".
Les orateurs, tous spécialistes de ces questions, illustreront leurs propos avec de nombreux exemples pratiques.
Pour plus d'informations: www.interforum-events.ch
Journal Entreprise romande n° 3011 20.02.09 Gregory Tesnie |