René Hagmann, lauréat du Prix de l'artisanat 2009, a perfectionné le trombone et la clarinette
Certains instruments à vent souffrent d'imperfections et les musiciens doivent beaucoup travailler pour les compenser. Le patron de Servette-Musique, mécanicien de formation, ne se contente pas de cette situation.
Jouez n'importe quelle note sur un piano. Pourvu qu'il soit bien accordé, elle sortira forcément juste. Jouez certaines notes sur n'importe quelle clarinette en parfait état. L'instrument émettra un son trop sourd, légèrement faux ou trop criard. Les musiciens doivent compenser ces imperfections inhérentes à sa conception avec leur souffle ou leur doigté. Une situation dont on s'est longtemps contenté. Pas René Hagmann. Le patron du magasin Servette-Musique a inventé un nouveau type de clarinette, dont la commercialisation devrait débuter la saison prochaine. Il est le lauréat du prix de l'artisanat 2009, attribué par l'Association des communes genevoises, avec le soutien de la Banque cantonale de Genève.
Le père de René Hagmann, Otto, était déjà facteur d'instruments. Fondateur du magasin Servette-Musique, il fabriquait essentiellement des trompettes dans des tonalités difficilement trouvables à l'époque. Après un apprentissage en mécanique de précision et quelques années dans le domaine de l'horlogerie, René Hagmann le rejoint en 1971. Il s'intéresse tout de suite aux instruments à clés, également appelés bois (clarinettes, saxophones, hautbois, flûtes traversières...). "C'est le côté mécanique qui m'a fasciné", explique-t-il. Les instruments à clés modifient la hauteur du son en ouvrant ou bouchant des trous avec des clapets. Ces dispositifs sont si complexes qu il faut une dizaine d'années d'apprentissage pour être capable de faire des réparations de niveau professionnel.
Compromis
C'est cette complexité qui explique les défauts dont souffrent les clarinettes. L'histoire s'est satisfaite de certains compromis», remarque René Hagmann. Les clarinettes actuelles utilisent des systèmes mécaniques mis au point au XIXe siècle. Ils comportent des défauts que l'on a tolérés, pour ne pas compliquer outre mesure la mécanique de l'instrument. "On parvient à en jouer parfaitement, mais corriger certaines notes demande beaucoup de travail".
Mis au défi par un professeur de clarinette, René Hagmann décide un jour de trouver une solution. Après vingt-cinq ans de travail et des centaines d'essais, il met enfin au point un système fonctionnel, dénué des défauts des instruments actuels. Les nouvelles clarinettes issues de ses recherches seront bientôt produites en Allemagne. "Ce sera un instrument de haut de gamme et nous n'avons pas la moindre idée du succès qu'il pourrait avoir. Mais je ne compte pas là-dessus pour devenir millionnaire. J'ai fait ça essentiellement par passion".
Cylindres de trombone
Il faut dire que René Hagmann n'en est pas à son coup d'essai. Il a déjà développé un mécanisme pour le trombone. On peut en effet jouer des trombones dans deux tonalités différentes. On passe de l'une à l'autre en actionnant un mécanisme, qui permet d'envoyer l'air dans une portion de tuyau supplémentaire. Ce mécanisme, inventé dans les années 1830, n'a pas été perfectionné jusque dans les années 1970. Or, sa géométrie interne affecte la qualité du son. Le musicien est obligé de compenser cette imperfection, ce qui demande beaucoup de travail. Un Américain a donc développé un nouveau système qui n'a pas ces défauts. "Mais je trouvais sa conception techniquement très mauvaise et son apparence disgracieuse", raconte René Hagmann.
Piqué au jeu, il décide d'examiner le problème. Il conçoit de nombreuses solutions, dont aucune ne se révèle satisfaisante. Sur le point d'abandonner, il fait une dernière tentative, qui se révèle concluante. C'est ainsi que naît le René Hagmann Free Flow Valve, en décembre 1990. "La publicité s'est faite toute seule. Le résultat était tel que chaque client m'en amenait deux ou trois autres". Aujourd'hui, il en a vendu près de douze mille. Il a engagé du personnel et créé un outillage spécifique pour suivre la demande. Une douzaine de fabricants l'utilisent, dont des marques prestigieuses telles qu'Antoine Courtois, Vincent Bach, Michael Rath ou Besson, et l'exportent dans le monde entier. "Et nous avons continué à le perfectionner".
Chef d'entreprise
A côté de ses activités d'inventeur, René Hagmann est aussi le patron d'une entreprise d'une douzaine d'employés. Le magasin a développé deux pôles: la guitare et les instruments à vent. "J'ai la chance de pouvoir compter sur une équipe formidable, avec des anciens qui sont là depuis une trentaine d'années et des jeunes très compétents". Le patron a largement délégué les activités commerciales à son bras droit, Yves Imer, pour se consacrer au travail d'atelier. "Si j'avais été employé d'une société, je n'aurais jamais pu développer toutes ces innovations", conclut René Hagmann. "Cela prend énormément de temps et personne n'aurait pu me payer pour cela".
Pierre Cormon - Entreprise Romande - Mai 2009 |