Comment les anciens Grecs ou les Chinois calculaient rapidement et sans chiffres arabes
Les abaques des anciens Grecs permettaient d'additionner et de soustraire rapidement et sans efforts mentaux. Les bouliers des Russes ou des Japonais fonctionnent selon des principes comparables.
Comment les anciens Grecs effectuaient-ils des additions en l'absence de chiffres arabes? Pourquoi les Européens ont-ils été si réticents à adopter la nouvelle numérotation? Comment les Russes et les Extrême-Orientaux parviennent-ils à calculer aussi vite avec leurs bouliers qu'avec des machines électroniques? A ces questions et à bien d'autres encore, Alain Schärlig répond dans son ouvrage Compter du bout des doigts, récemment sorti de presse. Il s'intéresse à tous les systèmes permettant d'effectuer des calculs en déplaçant des cailloux, jetons ou boules, de l'Antiquité à nos jours. Une lecture aussi instructive que divertissante.
Alain Schärlig possède plusieurs dons précieux. Il cumule la rigueur du scientifique, la clarté du vulgarisateur et le don du conteur. Sous sa plume, l'explication des principes qui régissent les numérotations grecque et romaine prend l'allure d'un passionnant exposé. Et permet de présenter un principe qui, sous une forme plus ou moins pure, se retrouve dans la plupart des dispositifs de calcul présentés, quels que soient le lieu et l'époque. Cette règle, c'est le "pas plus que quatre". L'esprit humain est capable de saisir du premier coup d' oeil quatre objets alignés, sans avoir besoin de les dénombrer. A partir de cinq, il est obligé de compter, ou d'isoler des groupes plus petits. L'abaque des Grecs, le boulier japonais ou les calculettes des joueurs de cartes du XIXe siècle tiennent tous compte de ce principe.
Peu d'efforts mentaux
Grâce à lui, l'utilisation de ces systèmes se fait avec des automatismes qui ne requièrent que peu de réflexion. Peu adaptés aux opérations complexes, les abaques et bouliers conviennent parfaitement pour les additions et les soustractions (lire encadré). C'est ce qui explique la survivance des bouliers dans plusieurs régions du monde. C'est également l'un des facteurs qui ont retardé l'adoption des chiffres arabes en Occident. Le calcul sur abaque présentait aux yeux des médiévaux plusieurs avantages. Il ne demandait que peu d'efforts mentaux. Il permettait à un vendeur et à un acheteur de suivre ensemble le déroulement d'un calcul, de manière visuelle. Et il était bon marché, contrairement au calcul avec les chiffres arabes, qui nécessitait un support écrit, coûteux à l'époque (les Arabes et les Indiens ne connaissaient pas ce problème: ils écrivaient les chiffres sur des planchettes recouvertes de poussière). Les chiffres arabes ne s'imposeront donc que très lentement en Occident. Gerbert d'Aurillac les emploie dès le Xe siècle, mais la Ville de Genève ne les adoptera pour ses comptes qu'au début du XVIIe.
A noter que l'abaque et les chiffres arabes ne sont pas incompatibles, même si ce système convient mieux aux chiffres romains. On trouve d'ailleurs des abaques à chiffres arabes. Et les bouliers, basés sur des principes identiques, continuent à être utilisés en Russie et en Extrême-Orient.
Pierre Cormon, entreprise romande, mai 2006
Réf.: Alain Schärlig, Compter du bout des doigts, cailloux, jetons et bouliers, de Périclès à nos jours.
Presses polytechniques et universitaires romandes, 2006
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