Batraciens et amphibiens, un mystérieux déclin
Imaginons une vie sans cuisses de grenouilles à la provençale, sans têtards à puiser dans les ruisseaux, sans crapaud à brandir devant le nez des filles. Dur ! Cette triste perspective nous pend au nez, car partout sur terre, les amphibiens sont sur le déclin. Une vraie déroute, qui touche aussi bien la forêt du Costa Rica que les rivières australiennes, les mares européennes que les marigots africains. Même la vingtaine d'espèces françaises ne sont plus très vaillantes : le crapaud sonneur et le pélobate brun, autrefois très communs, sont eux aussi menacés d'extinction.
Sur les 5'000 amphibiens recensés de par le monde, 200 espèces ont déjà disparu de la surface du globe. Ce reflux sans précédent, qui aurait débuté dans les années 60, fut découvert voilà une dizaine d'années quand le crapaud doré (Bufo periglene) disparut brutalement du Costa Rica. A chaque printemps, ce charmant animal avait l'habitude de quitter ses quartiers souterrains pour se livrer à une épatante parade nuptiale. Des milliers mâles endossaient alors une magnifique livrée orange pour séduire leurs belles.
En 1987, des zoologistes américains en dénombrèrent bien 1'500. L'année suivante, ils n'en trouvèrent plus que... 11. En 1989, un seul mâle fut découvert. Puis, rideau ! L'espèce s'était purement et simplement volatilisée. Mystère et boule de gomme. D'autant que cette disparition spectaculaire ne fut pas la seule : une vingtaine d'autres suivirent au Costa Rica. Puis la vague mortelle s'étendit à toute l'Amérique centrale. Elle aborda l'Australie, où quatorze nouvelles espèces succombèrent. Inutile de dire que les erpétologistes grenouillaient dans tous les sens. Ils commencèrent par suspecter un virus, puis un protozoaire fut accusé du crime. Finalement, des chercheurs australiens découvrirent le véritable tueur en série : un champignon microscopique qui ronge la peau des amphibiens. Comme celle-ci leur sert justement à respirer, ils meurent par asphyxie. Reste maintenant à comprendre pourquoi les amphibiens sont devenus soudainement sensibles à ce champignons. L'enquête se poursuit !
Pourtant, ce micro-organisme ne peut être accusé de tous les crimes de la terre. Les batraciens ont à souffrir de nombreux autres malheurs. Anne-Marie Dubois-Ohler, batracologue au Muséum national d'histoire naturelle de Paris, les passe en revue : « Ils pâtissent de la disparition des zones humides et des forêts tropicales, des pluies acides et des pollutions industrielles et agricoles. A cause de leur peau poreuse, ces animaux sont très sensibles à la moindre contamination de leur milieu. » Enfin, bien sûr, il ne faut pas oublier les centaines de millions de grenouilles sacrifiées sur l'autel de la gastronomie.
Certains erpétologistes soupçonnent également le réchauffement de la planète de jouer un rôle néfaste en multipliant les périodes de sécheresse. D'autres s'inquiètent des rayons ultraviolets déferlant sur la Terre depuis la diminution de la couche d'ozone. Des chercheurs américains ont prouvé que les UV détruisaient les ufs ou modifiaient le matériel génétique pour faire jaillir des monstres difformes.
Pour tenter d'enrayer ce déclin, 3'000 scientifiques ont créé une organisation internationale : la DAPTF (Declining Amphibian Population Task Force). Il serait tout de même dommage que ces amphibiens, qui existent depuis 350 millions d'années et ont résisté à deux extinctions de masse - dont celle qui a eu la peau des dinosaures -, achèvent aujourd'hui leur belle odyssée terrestre. Dommage pour eux, et pour nous...
Frédéric Lewino, Le Point, 21 avril 2000.
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